Gilles Snowcat. Le chat des neiges de Wallonie. Drôle d'hurluberlu, mais ne vous moquez pas, ce coco-là a plus d'un tour dans son sac. Clavier du groupe Awaken qui a eu son petit succès au pays du Soleil Levant, Gilles avait des envies de plus grands espaces. Nous l'avions découvert avec "You've Been Unboxing" où il nous dévoilait le contenu du sac déjà évoqué. Du funk sophistique, une voix de gorge profonde, assez suffisant pour émoustiller la gent féminine voire masculine. Retrouvons-le dans le cadre de la sortie de son nouvel album "Don't Leave Your Mistakes Unattended", tout un programme. Voyons si un Gilles Snowcat peut retomber sur ses pattes.
Tout d'abord pouvez-vous nous donner des nouvelles de Tiffany ? Cet excellent morceau avec son esprit caribéen aurait mérité d’être diffusé à la radio.
Ah, Tiffany doit certainement cuver son whisky en se prenant pour Audrey Hepburn, quelque part dans le camping d’un festival perdu, en attendant l’été…
Vous avez été le clavier du groupe belge Awaken avant de vous envoler en solitaire. Quel enseignement l'expérience en groupe vous a appris et que vous avez pu appliquer sur votre carrière en solo ?
Awaken était à la base mon projet de lycée, que j’ai essayé de nombreuses fois de faire dériver en vrai groupe, tout en me rendant compte que je n’aimais pas ça. Je prenais des airs de grand démocrate, mais je rejetais joyeusement la plupart des idées qu’on me soumettait. Être en solo est plus gratifiant, ça force à une certaine responsabilité, et au moins on récolte ce que l’on sème. Dans un groupe, il n’est pas rare que le chanteur reçoive des félicitations pour les idées qu’il n’a jamais eues…J’ai donc appris qu’un groupe était quelque chose de confortable, mais peu gratifiant sur le long terme. De plus, un groupe tient rarement par lui-même, à moins d’une amitié solide entre les membres, ce qui n’a jamais été le cas dans
Awaken. Sans management externe à la poigne de fer, un groupe est généralement condamné à imploser, qu’il ait du succès ou pas.
Nous avons retrouvé un curieux objet "Koyaasnowcatsi" (inspiré de "Koyaanisqatsi") avec de longues boucles électroniques pesantes inspirées. Nous reconnaissons bien votre voix mais nous n'avions pas trouvé beaucoup d'informations sur cet OVNI qui mérite vraiment d’être réévalué. Pouvez-nous parler du contexte de cet enregistrement et comment vous le considérez aujourd'hui ?
J’ai toujours eu envie de m’attaquer à cette magistrale partition qu’est celle de "Koyaanisqatsi" de
Philip Glass. En 2012, juste avant la sortie de mon album "Mokomoko Collection", j’ai profité de trois semaines de liberté pour réaliser ce vieux rêve, sans vraiment penser à en diffuser le résultat. C'était une sorte d’exercice, sans plus. Quelques années plus tard, je suis retombé dessus et l’ai partagé officiellement. Fait amusant, le distributeur a fait une erreur et indique 1982 comme année de sortie. C’est évidemment faux, j’aurais eu du mal à faire ça en 1982…
Vous avez poursuivi vos grands voyages passant par le Japon. Cette idylle a dû démarrer avec Awaken mais quel est votre rapport à l'heure actuelle ? Qu'est-ce qui vous a plu dans la culture nippone ?
Le label japonais it’s Oh! MUSIC qui a distribué plusieurs de mes disques a cessé ses activités de manière un peu abrupte. A l’heure actuelle j’aime toujours énormément ce pays, pour des tas de raisons. Ce qui me plaît dans leur culture, en dehors des habituels poncifs sur la nourriture (qui est fabuleuse), c’est aussi leur rapport à la qualité. On les moque souvent pour leur attachement exagéré au travail, mais le résultat est là. Moi qui suis d’un naturel paresseux et bordélique, aller au Japon m’apporte beaucoup. Leur gestion de la sécurité est également intéressante.
Nous vous avions découvert sur Music Waves avec votre précédent album "You've Been Unboxing". Nous y avons trouvé un esprit d'expérimentation tous azimuts qui piochait à tous les vents sans être indigeste, Zappa, le funk avec une forte chaleur sensuelle. Est-ce que vous vous reconnaissez dans cet hybride « funko-érotico-zappaien » comme l'a déclaré notre collègue Calgepo dans sa chronique de votre EP "Last Summer On The Beach" ?
J’ai souvent entendu que ma musique évoquait Zappa. C’est étrange, car je connais si peu son œuvre... Je n’ai jamais fait que survoler ce qu’il a fait, et encore, juste une toute petite partie. C’est parfois impressionnant mais ça ne m’a pas influencé du tout. Je reconnais et assume plutôt de fortes influences d’
Earth Wind & Fire, des
Jacksons, de
Cold Chisel, de
Donna Summer, des
Rolling Stones, de
Neil Diamond, de
Deep Purple, Frank Sinatra, Rufus, Mandred Mann, Quincy Jones, Philip Glass, Yes, Genesis, Vanilla Fudge, Peter Criss, tout ça oui. Mais
Zappa, pas vraiment. Néanmoins j’apprécie la définition que Calgepo a faite de ma musique. C’est flatteur. Et ça devrait m’inciter à écouter Zappa plus profondément…
Nous remarquons d'ailleurs qu'il n'y a pas beaucoup de photos de vous (celles dans lesquelles nous vous voyons sont assez lointaines et imprécises). Dans notre époque instagramesque où chacun veut à tout prix afficher son visage, est-ce que ce n'est pas salutaire de justement disparaître comme le firent à son époque Maurice Blanchot ou encore aujourd'hui Thomas Pynchon, pour privilégier son œuvre – la musique (contrairement à ce que dit votre compte Instagram musicdoesntmatter, mais c'était sûrement de l'ironie ou de la provocation de votre part) ?
Je n’ai aucun problème à mettre des photos de moi quand elles apportent quelque chose au package musique / esthétique. Je n’aime pas trop l’obsession du ‘faceless’, d’ailleurs, mais un livret d’album ne devrait pas être un recueil de photos de profil Facebook pour autant. Il y a des disques sur lesquels ma tronche apparaît clairement, d’autres pas, sans que je ne sache vraiment pourquoi. Quant à ‘music doesn’t matter’, le nom de mon compte Instagram sur lequel je ne publie quasiment rien, ça vient plutôt des enseignements tirés des livres du manager Simon Napier-Bell, qui dit avec beaucoup de lucidité qu’en show-business, la musique n’est pas si importante que ça. En fait, ce qui attire les fans, c’est l’image ou le sentiment d’appartenance qu’un artiste donne à ses fans. La musique vient après, contrairement à l’idée reçue qui veut que la musique soit plus importante que tout… Après, bien sûr, un fan reste pour la musique, mais ce n’est pas nécessairement ce qui attire en premier lieu.
Vous avez une voix non seulement remarquable mais aussi magnétique (la gent féminine doit éprouver quelques frissons en vous écoutant). Une voix grave, profonde avec un peu de fragilité rappelant peut-être Léonard Cohen. Comment travaillez-vous votre voix et quel est votre état d'esprit lorsque vous enregistrez ? Mais également, vous qui avez commencé comme clavier, est-ce que chanter avait toutefois était un souhait de longue date ?
Merci ! Je ne travaille pas vraiment ma voix, sauf en chantant et en essayant de me fondre dans la mélodie, ce qui est un travail en soi. J’ai fait quelques exercices il y a quelques années mais pour le studio, ça ne m’a pas apporté grand-chose. Par contre pour la scène un échauffement préalable est nécessaire pour ne pas se retrouver aphone après trois chansons. Mon idée de départ était de ne chanter qu’un morceau de temps en temps, un peu comme le faisait Steve Porcaro dans Toto, ou plus fameusement Ringo Starr avec les Beatles. Le problème est que les vocalistes qui devaient chanter mes mélodies n’y arrivaient pas, ou simplement refusaient de les interpréter, ou voulaient transposer la tonalité et là c’est moi qui refusais. Alors j’ai bien dû m’y mettre, au début avec un résultat peu convaincant, mais le temps et le whisky ont fait que j’y ai pris goût.
Votre dernier album s'intitule "Don't Leave Your Mistakes Unattended" (Ne laissez-pas vos erreurs sans surveillance). Un titre intéressant et assez ludique. Pour vous, c'est en faisant des erreurs que l'on retrouve le chemin du succès personnel ?
Même si j’aime beaucoup l’esprit américain qui consiste à accepter de faire des erreurs pour avancer en compétences, le titre de l’album ne contient absolument aucun message du genre. C’est juste une petite phrase espiègle qui m’est tombée dessus un jour, que j’imaginerais bien annoncée par les haut-parleurs d’un aéroport.
Cet album est assez riche, vous emmenez en voyage au pays des rythmes. Est-ce que les meilleurs voyages sont justement ceux que l'on peut faire en musique ?
Non, les meilleurs voyages sont les vrais voyages, en voiture, en avion ou même en train. Le voyage qu’offre la musique est également une évasion, mais d’une teneur assez différente. Ce n’est pas comparable. Ce sont deux merveilleuses façons de s’évader et de s’élever.
Certains titres s'interpellent et se répondent ('The Marzipan Bar' est évoqué sur deux titres), peut-on parler de concept-album ou de vignettes accusant des liens de sympathie entre elles ?
Le fameux Marzipan Bar était aussi évoqué dans une chanson sortie en single l’an dernier, "Staff Wanted". Ce sont des liens conceptuels entre les chansons, en quelque sorte.
Si ce n'est pas un concept album, est-ce que cela vous intéresserait d'en enregistrer un (si vous ne considérez pas les précédents comme tels) ?
À une époque ça m’aurait intéressé, mais plus trop maintenant. J’aime bien les concept albums, comme "The Lamb Lies Down On Broadway" ou "Mëkanïk Dëstruktïẁ Kömmandöh" mais n’aimerais pas vraiment en composer un. Ou alors un concept façon "Watertown" de Frank Sinatra, un des plus beaux albums que je connaisse.
Le voyage démarre avec le reggae décomplexé 'Something New In Waterloo' qui s'inscrit dans la continuité du précédent EP. Était-ce une manière de dire que vous poursuiviez le chemin là où vous l'aviez arrêté ?
La chanson ouvre l’album pour des raisons bien plus terre-à-terre : elle est efficace et ne tourne pas autour du pot. Pas d’intro prétentieuse, pas de nappes orchestrales interminables, rien : 1, 2, 3, 4 et c’est parti.
Comment Napoléon Bonaparte vous a-t-il inspiré pour ce titre ?
J’apprécie ces gens qui ont une capacité de rassembler, d’appliquer des stratégies, d’être des leaders. Ceci dit, la chanson évoque surtout la beauté de Waterloo et de son lion, Napoléon n’y fait qu’une sorte de caméo presque obligatoire.
On note un amour pour les instruments : saxophones, un son d'accordéon, de l'harmonica. Comment retombez-vous toujours sur vos pattes en incorporant ces ingrédients à votre délicieuse mixture en évitant que celle-ci soit trop copieuse ?
Les musiciens sur l’album viennent en grande partie du jazz, et ont une capacité à écouter les autres et à se mettre en valeur au bon moment, sans tirer la couverture à eux. De ce fait, je n’ai pas eu grand-chose à faire pour que la mixture soit bien dosée.
Vous replacez 'Monaco 1972' dans les Caraïbes avec un air assez chaloupé. A quelle épisode cette chanson fait-elle référence ?
Il y a une ambiance un peu chaloupée à Monaco aussi, même si en apparence les gens sont un peu plus guindés que dans des pays tropicaux. J’aimerais voir à quoi ressemblait Monaco en 1972, les voitures et tout ça… Je ne sais pas pourquoi ’72, en fait.
Forte dimension sensuelle sur 'Tiny Little Ice Cubes' avec Adriana Dath à la voix langoureuse. Comment avez-vous été conduit à faire ce duo ?
J’aime bien co-écrire avec des vrais
songwriters, comme Ana Cozman, Hetpampa ou Glen Llewellyn Smith. Et Adriana fait partie de ces gens-là, capables d’écrire de vraies chansons qui se tiennent. Faire un duo vocal est venu assez naturellement, on ne s’est pas trop posé la question.
Le deuxième duo ('Pandan Smash Amaretto' avec Ana Cozman) est un peu plus grave avec son piano mélancolique et les voix chargées de ses interprètes. Ce morceau réussit le tour de force de nous placer au plus près de vous en toute intimité. Et vous partez sur la piste suivante 'At The Marzipan Bar' vers la country. Ce contraste entre différentes humeurs est bien voulu ? Une façon de se dire retrouvons un peu de légèreté après l'orage ?
La face 2 commence en effet de manière plus acoustique. Ceci dit, le contraste est naturel, il y a toujours un moment où le flow de l’album devient évident et chaque chanson trouve sa place dans le déroulement du disque sans que je n’aie à me poser la question.
Votre musique a une forte dimension cinématographique. Est-ce un média qui vous inspire et pour lequel vous souhaitez travailler ?
Ce n’est pas quelque chose que je recherche, d’autant qu’il y a des tas de musiciens établis et expérimentés dans ce domaine, qui font le taf avec brio. Il faudrait qu’il y ait une vraie demande pour que je me pose la question, une vraie proposition, un cinéaste qui aime ma musique... et une bonne rémunération à la clé, bien sûr !
L’idée d’une musique intemporelle me plaît bien…
L'instrumental 'Theme For Shopping Street' semble renouer avec un funk 70's et un clavier 80 voire 90's. Gilles Snowcat est en fait un apprenti sorcier qui récupère des sons de toute époque et les incorpore à sa sauce pour sonner malgré tout intemporel. Est-ce vrai ?
En fait, je suis obsédé par le groove et certaines sonorités s’y prêtent mieux que d’autres. Il n’y a ni volonté de pasticher, ni d’éviter des sonorités dépassées. L’idée d’une musique intemporelle me plaît bien…
Chantilly sur la gaufre, le dernier morceau 'Coast Avenue Drive' est un tour de force. Un passionnant voyage dans lequel tour à tour la guitare, le saxophone puis quelques notes de piano font progresser à travers des couloirs sinueux mais toujours auréolés de lumière. Si nous avons déjà entendu cela sur 'You've Been Unboxing', on sent que vous vous êtes laissé aller à une plus grande exploration voire une liberté sonore sur ce titre.
Il s’agit d’un de ces petits moments magiques où tous les musiciens sont en phase et tout colle. J’y suis presque un simple observateur.
Est-ce que Gilles Snowcat se laisserait aller à arpenter les chemins du rock progressif ?
‘Progressif’ est un mot dans lequel on peut mettre un peu tout et n’importe quoi. Je me verrais bien enregistrer "La Flûte Enchantée" de
Mozart avec une formation rock, peut-être que ça entre dans la définition de progressif. Mais sinon je suis plus intéressé par le groove, jouer quelque chose qui swingue subtilement, donc je laisse le prog-rock pur et dur à mes amis de Lunear, ils font ça très bien.
La durée de 34 minutes fait qu' une fois que l'album est terminé, on peut y retourner plus facilement...
Oui, la mode des albums de 70 minutes est passée, et c’est tant mieux. Même si j’ai moi aussi profité et abusé des possibilités du format CD à une époque, pour y caser le plus de musique possible… Mais c’était complètement indigeste. Rien ne vaut le format vinyle de 40 minutes maximum pour moi.
Comment allez-vous défendre cet album ? Aimez-vous jouer en France, chez votre voisin ?
Je vais le défendre comme je l’ai enregistré : avec ‘agak-agak’ (au feeling, comme on dit en Malaisie). Je ne sais pas encore sous quelle forme ni où je vais emmener les nouvelles chansons sur scène, mais je veux que ce soit un truc excitant, avec des cocktails, de l’improvisation, du groove, du swing… Peut-être en France, pourquoi pas ? Ou alors à Monaco, ce serait plus logique. Après ça je pourrai arrêter et me consacrer à rafistoler des vieilles Peugeot.