Un peu à la surprise générale, Mark Morton sortait en 2019 "Anesthetic" qui permettait à l'un des membres fondateurs de Lamb of God qu'il était autre chose qu'un simple guitariste (doué) de metal... Six ans plus, le voici de retour avec "Without the Pain" véritable immersion dans ses racines rock sudiste...
Depuis notre dernière rencontre en 2019 il s’est passé par mal de choses notamment la pandémie. Nous avons fêté les cinq ans du confinement ici en France, cet épisode a-t-il eu un impact sur toi en tant que musicien et en tant qu’être humain ?
Mark Morton : Evidemment, la pandémie est une situation très tragique dans le monde entier mais pour moi, ça a eu un effet très positif.
Justement tu as été très actif mais pas en musique, tu as sorti "Desolation: a Heavy Metal Memoir" dans lequel tu te mets totalement à nu. Ce livre était-il une sorte de thérapie, comme une nécessité de s’ouvrir sur ta vie, tes doutes, tes peines et tes tourments pour mieux repartir ?
Oui mais non (Rires) ! Tout le monde adore penser cela et je le comprends. J'ai un excellent thérapeute et j'espère que toi aussi…
… Pas encore…
Tu devrais car c’est quelque chose de merveilleux (Sourire). Pour moi, la thérapie est le fait de se connecter avec des parties de toi dont tu as peur ou que tu ignores parce que tu ne veux pas te confronter à elle ou au contraire, tu ne veux pas laisser partir parce que tu penses avoir le contrôle… La thérapie signifie beaucoup de choses pour moi et ça représente tout cela mais ce livre n'avait rien à voir avec ça. Ce livre raconte ma vie de façon très honnête. Je me suis totalement ouvert mais c’est effrayant de se dévoiler ainsi au monde…
Tu te mets à nu…
Exactement ! Et c'est assez inconfortable... Mais ce livre n’était pas une thérapie, c’est juste une histoire, mon histoire… Ce n’est pas quelque chose que je mourais d’envie de dire ou que je devais sortir de mes tripes. Ce sont des échanges que j’ai eu avec mon ami Ben (NdStruck : Ben Opipari) qui m’a dit qu’il y avait de quoi faire un livre et il m'a aidé à écrire.
Ce serait probablement plus effrayant de me sentir guéri que l’inverse…
Malgré tout, ne crains-tu pas de replonger dans tes travers et tes démons ?
Est-ce que je crains que ça se reproduise ? Ça pourrait, bien sûr. Est-ce quelque chose dont je devrais avoir peur ? Bien sûr que oui ! Je ne crois pas qu’on puisse se guérir. Mais ce serait probablement plus effrayant de me sentir guéri que l’inverse… En effet, si je pense que je ne suis pas guéri, j'ai toujours une peur que je qualifierais de saine. Et donc, comment je réponds à cette peur saine ? J’ai passé un accord avec moi-même : quand je me réveille le matin -et ça fonctionne plutôt bien pour moi- je refais aujourd’hui ce que j'ai fait hier. Parce que ce que j'ai fait hier ne va pas forcément fonctionner pour aujourd'hui, je dois le faire encore aujourd'hui. En voyant les choses ainsi, ce n’est pas si effrayant parce que je peux le reproduire jusqu’à la fin de mes jours et avec le temps, ça devient plus facile. Les gens te disent qu’il faut être fort et se battre : je ne me bats contre rien ! Et c’est pour ça que ça marche parce que je ne me bats plus (Rires) !
Cet état d’esprit explique-t-il en partie que Lamb Of God n’a pas chômé en sortant deux albums en 2020 et 2022 ?
Dans ce cas, la pandémie explique ça plus que tout le reste parce qu'il n’avait rien d’autre à faire. On n’a pas pu tourner pendant un an et demi et c'est une grande partie de ce Lamb of God fait. D’ailleurs, beaucoup de groupes sont allés en studio pendant cette période parce que personne ne pouvait aller sur scène.
On a parlé de ta thérapie, avec le recul, comment perçois-tu "Anesthetic" -ton premier album solo : comme une première étape te menant à cette thérapie ?
J’ai le sentiment que tu veux que cette interview soit sous le prisme de la thérapie mais ce n'a rien à voir avec de la thérapie. Le livre n’est pas une thérapie, c’est juste une histoire. Ce qui est beau, c’est que quand je le partage avec le monde, les gens viennent vers moi et me disent que ça leur parle. C'est magnifique pour moi parce que ça crée une connexion.
Cet album n'est pas une thérapie [...] Cet album, c'est moi qui rentre à la
maison !
Si ce n’est pas une thérapie pour toi, ça l’est peut-être pour ceux qui te lisent ou t’écoutent ?
Je ne sais pas, je ne peux pas répondre ça pour les autres. Je ne suis pas thérapeute (Rires)… Je ne suis pas thérapeute et ce livre n'est pas ma thérapie. C'est juste mon histoire et pour être franc, ce livre n’est pas si profond pour moi. C’est un livre honnête et difficile à faire, notamment certains chapitres -et si tu l’as lu, tu sais de quoi je parle- étaient très difficiles à écrire. Mais j'ai vécu ça. Et si tu me demandes si je devais revivre ça, j’aurais besoin d’une putain de thérapie mais je l’ai déjà vécu, c'est mon histoire et je la vis tous les jours.
De la même façon, cet album n'est pas une thérapie. Je t’ai dit ce que cet album n’était pas, je vais te dire ce qu’il est. Cet album, c'est moi qui rentre à la maison ! Le son des chansons, le style de la musique, c'est ce que j'écoute quand je suis chez moi.
Cela signifie-t-il que tu n’étais pas chez toi par le passé ?
Non, ça a toujours été là. Je réponds que ça a toujours été présent quand les gens se demandent pourquoi je me lance maintenant dans un album de blues / rock sudiste. Lors des tournées avec Lamb of God, je suis toujours avec mon casque à écoute The Cadillac Three ou Blackberry Smoke…
Je ne pense pas qu’un tel album soit inimaginable pour quelqu’un qui nous suit attentivement
En revanche, tu peux comprendre la question sachant qu’on n’entend pas forcément ces influences dans la musique de Lamb of God ?
Certaines personnes sont attentives à ce que je fais dans Lamb of God ne seront pas surprises par cet album… Il y a des influences évidentes de blues dans Lamb of God. Si tu écoutes un titre comme ‘Ghost Walking’ ou ‘Redneck’, tu entendras du blues : c’est indéniable ! Et il y a d’autres chansons dans ce cas… Je ne pense pas qu’un tel album soit inimaginable pour quelqu’un qui nous suit attentivement. Mais ce n’est pas le cas de tous ceux qui nous suivent…
Mais pour en revenir à ta question si je comprends que certains peuvent être surpris que le mec de Lamb of God sorte un album de blues / rock sudiste / americana ? Bien sûr que je peux le comprendre…
Comme tu l’as dit, cet album te voit plonger dans les racines musicales de l’Amérique à savoir Robert Johnson, Woody Guthrie, Bob Dylan ou Bruce Springsteen ainsi que la country et le rock sudiste, c’est à la rencontre de tous ces gens et ces styles qu’il est allé ?
Je ne pense pas. Avec tout le respect que je leur dois, je n’écoute pas vraiment ces artistes… Je ne me suis pas dit qu’il fallait faire un album comme ça en rassemblant toute une liste de références… J’ai juste jouer ce qui me traversait l’esprit et je fais la même chose pour des titres metal… Je veux dire que je n’étudie rien, c’est juste que c’est ainsi que ça sonne quand je joue de la guitare : c’est moi ! Et quand je dis que cet album, c’est moi de retour à la maison, c’est que je j’ai grandi en écoutant The Allman Brothers Band, Lynyrd Skynyrd, .38 Special, Molly Hatchet mais également les The Black Crowes qui est un de mes groupes préférés… Je n’ai pas eu à aller à l'école pour savoir comment faire un album de rock sudiste… c’est juste une grande partie de mon âme musicale…
J’ai la chance d’avoir l’opportunité d’explorer les multiples facettes de mon esprit créatif
Ces influences sont-elles plus fortes que celles metal ?
Je ne pense pas qu’il y ait de meilleures ou moins bonnes influences… Pendant longtemps, j’ai vécu en écoutant Testament, Metallica ou Pantera… Ces influences font également partie de moi ! J’ai toutes ces influences et j’ai la chance d’avoir l’opportunité d’explorer les multiples facettes de mon esprit créatif et cet album en est une manifestation…
Comme sur le premier album…
… qui n’est pas une thérapie (Rires) !
… Ce nouvel album a de nombreux invités et le gratin du genre comme Cody Jinks, Matt James, Charlie Starr ou Tyler Brant & The Shakedown, Jarey James Nichols, Neil Fallon et j’en passe…
… Ce sont mes amis !
… Cette liste est une véritable anthologie d’un son sudiste. Mais je suppose que cela a dû être pas mal de travail pour bien choisir qui fait quoi, qui participe, comment as-tu organisé le travail sur les compos et l’enregistrement ?
Ce n'était pas difficile. Pas du tout…
… Avais-tu un chanteur à l’esprit quand tu composais ?
Il n’y a pas que des chanteurs… En fait, je compose une progression d’accords et j’écris les paroles sur un bout de papier ou sur mon téléphone, la plupart du temps quand j’étais en tournée avec Lamb of God dans notre bus qui roule à 80 km heure.
Par exemple, avec cette petite progression d’accords, ces textes, nous sommes rendus à Nashville avec Cody Jinks et Travis Denning et quatre heures plus tard, on avait ‘Brother’… C’est ainsi que ça se passe.
Pour ‘Hell & Back’, c'est moi qui conduis vers Nashville et la maison de Jaren (NdStruck : Jaren Johnston de The Cadillac Three). On s’assoit dans son studio, on se balance quelques blagues et on se met à écrire ‘Hell & Back’. C’est ainsi que ça se passe. Ce sont mes amis !
Ce qui frappe à l’écoute, c’est la mélancolie qui ressort, on ressent une forte charge émotionnelle, comme si ton âme se dévoilait à chacun, je pense à ‘Kite String’ et ‘Home’ magnifiés par Travis Denning ou ‘Come December’. Etait-ce nécessaire pour lui de faire ressentir des émotions fortes aux auditeurs au travers de cette fibre sudiste country ?
Oh, je ne sais pas si c'était nécessaire mais je suis heureux que tu aies ressenti cela. Je suis reconnaissant. Parce que si tu as ressenti quelque chose, cela signifie que cet album est le tien et plus simplement le mien… Ce tu as ressenti en écoutant cette chanson t’appartient. Je ne t'ai rien donné…
La musique est un langage spirituel !
… Quand même…
Oui, je t’ai donné un morceau de musique mais si tu ressens cela, c’est parce que c’est en toi. Cette chanson ne fait qu’ouvrir ce qui est en toi ! Et ça, mon ami, c’est la force spirituelle de la musique : la musique est un langage spirituel ! Le fait que tu aies ressenti quelque chose en écoutant ‘Kite String’ ou ‘Come December’, c'est un honneur pour moi. Merci. Je suis heureux que tu aies ressenti quelque chose...
Et je suis désolé si je t’ai froissé en parlant de thérapie…
… Je ne suis pas froissé…
… Mais si on a abordé ce thème, c’est que certains titres nous font vibrer et si c’est le cas, on se dit que ça doit l’être pour toi qui livre toute ton âme...
C'est le cas mais tu dois comprendre que c'est juste ce que nous faisons. Si tu me demandes si ces choses sont vraies pour moi, oui, bien sûr qu’elles le sont. En revanche si tu me demandes si c'est un défi ou un obstacle à surmonter pour que ça sonne si vrai, non, parce que c’est juste ce que je fais… C'est tout simplement ce qu'est être artiste.
Être artiste, c'est beaucoup de choses différentes mais pour moi, c’est traiter ce genre d’émotions et en créer quelque chose. Et quand c’est fait, je suis content de l’avoir fait mais le plus important, c’est quand quelqu’un comme toi ressent quelque chose, c’est là que ça devient magique !
On ressent aussi souvent profondément cette idée de voyage dans le sud, comme un road trip,’ Hell & Back’, ‘Brother’, ‘Forever In The Light’ me font penser à une bande son de film, je les aurais bien imaginés dans "O’Brother", c’était l’idée, de capter cette fibre sudiste dans ces titres ?
Comme un
road trip dans le désert (Rires) ? Oui c’est ça qu’on avait en tête…
Est-ce l’influence des longs voyages en bus lors de vos tournées ?
Bien sûr ! Je vis dans la campagne, on vit dans les bois et il nous arrive avec ma femme de nous allonger les soirs pour regarder les étoiles. Et là, elle me demande si je savais que les étoiles que nous voyons brûlent et sont en train de mourir. Cette idée m’a travaillé pendant des années et au moment d’écrire ‘Kite String’, j’ai utilisé ces mots à savoir que les étoiles brûlent avant que tu ne les voies : ça resonne en moi et ça colle parfaitement à l’histoire de la chanson.
Etre dans une pièce avec eux en tant que pair est une expérience incroyable !
Le disque met les vocalistes fortement à l’honneur. Ils vivent ce qu’ils chantent avec une force d’âme énorme. Comment le travail s’est-il organisé avec eux, ce n’était pas trop dur de leur faire chanter des textes très personnels ?
Il faudrait que j’aille dans le détail de chaque chanson pour t’expliquer. Mais en général, les chansons étaient co-écrites et la plupart du temps, je venais avec des textes qui n’étaient pas complets et avec Travis ou Travis et Cody, nous les terminions ensemble. Au contraire, j’ai l’exemple d’une chanson dont je pensais les textes complets et Jaren m'a dit que ce n’était pas le cas et que nous allions les finaliser ensemble… Honnêtement, l’un des plus grands frissons de cet album était apprendre de gars comme Jaren, Cody qui ont écrit d’incroyables chansons. Et être dans une pièce avec eux en tant que pair est une expérience incroyable !
‘Come December’ avec Charlie Starr (Blackberry Smoke) et Jason Isbell frappe aussi dans le style avec un solo bouillant dans cette même veine. S’entourer de telles pointures t’a-t-il aidé à te sublimer à la guitare ?
Il faut savoir que le premier solo à la slide guitar est de Jason. Et putain, quel solo magique ! Jason est probablement un des meilleurs compositeurs de notre génération mais c’est également un guitariste monstrueux comme tu peux l’entendre et quand tu le vois jouer ces trucs. C'est un honneur de l'avoir sur ce morceau. Le solo à la fin de ce titre comme la majorité des solos sur cet album sont de moi mais il y a quelques autres joués par des invités qui sont vraiment géniaux : Jason joue l’un d’entre eux mais également Charlie… Je connais Charlie depuis longtemps… Je n’ai pas encore raconté l’anecdote mais je lui avais demandé de chanter sur le titre ‘Imaginary Days’ de "Anesthetic". Il m’a répondu que la démo sur laquelle je chantais était cool mais il n’allait pas la chanter puisque je chantais sur la démo. J’ai trouvé que c'était une belle façon de refuser (Rires)… Ça ne m’a pas offensé parce que nous sommes amis. Et je suis revenu à la charge pour cet album, je lui ai envoyé une démo de ‘Come December’ qu’il a accepté de chanter cette fois-ci (Sourire). Pour ce titre, très peu des textes ont été conservés. Il a énormément réarrangé de textes et a fait de cette chanson la sienne.
Pour en revenir à ta question précédente, la plupart des textes étaient collaboratifs. Je leur envoyais les démos en leur donnant la liberté de faire ce qu’ils en voulaient parce que la performance sera meilleure si les invités se sentent connectés aux chansons… Dans le cas contraire, c’est du karaoké…
Enfin, ‘Nocturnal Sun’ avec Troy Sanders de Mastodon est un titre très intéressant, d’autant plus intéressant que comme toi, on ne s’attend pas qu’il chante du rock sudiste et il semble fait pour ça ?
Sa voix sonne superbement bien et il a une voix si polyvalente ! Je connais Troy depuis 20 ans et tu peux entendre ses capacités vocales depuis le début de sa carrière et le voir devenir le chanteur qu’il est devenu aujourd’hui. Mais oui, on s’est beaucoup amusés sur ce titre et il le chante extrêmement bien.
La reprise de 'The Needle & The Spoon' est très réussie, Neil Fallon de Clutch a réussi à bien s’approprier le titre. N’est-ce pas trop intimidant de reprendre Lynyrd Skynyrd ? Et leur rendre hommage semble une évidence, c’est un peu le groupe ultime du genre, celui qui correspond le mieux aux valeurs du rock et de l’esprit du Sud ?
Je suis totalement d’accord… Mais était-ce intimidant ? Peut-être était-ce audacieux de reprendre Lynyrd Skynyrd ? Mais j'ai une relation avec cette chanson depuis si longtemps, depuis mon enfance. Cette chanson, ce riff sont une signature… Les textes racontent une histoire très personnelle et sombre et à la guitare, les solos sont incroyables. Cette chanson rassemble tout ce que je veux entendre dans du rock sudiste. J'ai une relation très particulière avec cette chanson et je ne me suis pas vraiment senti intimidé. Peut-être était-ce un peu cavalier de la reprendre mais pas intimidant.
Egoïstement, j’adore tout simplement jouer la guitare…
Enfin, quelle sera la suite, envisages-tu de donner une suite à ce voyage dans le sud ? On t’imaginerait bien très âgé, à parcourir les clubs et bars du sud des USA pour faire vivre cette musique, ça serait une belle aventure après une riche carrière ?
(Rires) Ça sonne bien ! Je ne sais pas si c'est ma responsabilité ou mon pouvoir de garder cette musique en vie mais j'adore la jouer. Mais si tu me trouves dans les clubs, dans les bars à jouer, c'est probablement parce qu’égoïstement, j’adore tout simplement jouer la guitare… Regarde, je n’arrive même pas à faire une interview sans en jouer (Rires).
Malgré tout des dates de concert sont déjà prévues ?
Pas énormément finalement, sachant qu’avec Lamb of God, nous allons faire la croisière Headbangers Boat en octobre- novembre et peut-être ensuite, nous pourrons envisager quelque chose pour des dates solo. Mais j’adorerais pouvoir le faire, il faut juste attendre la bonne opportunité.
Merci beaucoup.
Merci à toi, mec : c’est du bon boulot (Sourire)…
Et merci à Noise pour sa contribution...