La vie n'a rien d'un longue fleuve tranquille... Celle de l'Irlandaise de naissance mais désormais Française de coeur, Kaz Hawkins en est la plus belle preuve et même si ce n'est pas la meilleure façon de "vendre" une interview, les titres bouleversants présentés dans le best-of "My Life and I" sorti DixieFrog Records en disent bien plus longs qu'un échange aussi touchant soit-il que nous vous proposons de lire malgré tout pour en savoir un peu plus sur une vraie belle artiste à (re)découvrir...
Quelle est la question qu’on t’a trop souvent posée et à laquelle tu aurais marre de répondre ?
Kaz Hawkins : Je dirais : "Quelle est ta chanson préférée ?" ou "Quand as-tu commencé à chanter ?" (Rires)
Ok alors puisque tu sors un best-of, nous aimerions savoir quelle est ta chanson préférée ?
(Rires)
Je devais partir pour [...] m’éloigner de mon passé traumatique et mes souvenirs…
Plus sérieusement, tu es installée en France depuis deux ans. Pourquoi ce choix ? Est-ce une volonté d’un nouveau départ artistique ?
Oui, un tout nouveau départ ! Je n’avais pas réalisé ce que ce départ allait m’apporter… Mon mari qui était policier venait de prendre sa retraite. J’ai vécu toute ma vie en Irlande du Nord dans une toute petite ville. D’un point de vue artistique et créatif, je devais partir pour éviter de tourner en rond mais également pour m’éloigner de mon passé traumatique et mes souvenirs…
C’était ma dernière chance !
Si on comprend ce choix personnel, en revanche, au regard du style musical que tu empreintes, n’aurait-il pas été plus logique d’emménager aux Etats-Unis ?
Non ! En fait, en 2017, j’ai gagné le "European Blues Challenge" qui se déroulait au Danemark, et un Français était présent Laurent Bourdier du festival Le Buis Blues est tombé amoureux, il a contacté tout son entourage. On m’a proposé de venir jouer au Blues Autour du Zinc à Beauvais qui était mon premier concert français et petit à petit, la France est devenue le pays qui me programmait le plus…
En 2019, tout s’est concrétisé naturellement, David a pris sa retraite, plus rien ne nous retenait en Irlande du Nord, ma fille a déménagé à Londres… en gros, c’était ma dernière chance !
Et depuis, tu as signé chez DixieFrog, label français, qui signe énormément d’artistes blues internationaux, est-ce comme eux, tu estimes que l’Europe en général et la France en particulier est le nouveau terrain de jeu du blues ?
Oui, je le pense. La culture française et européenne en générale est très fraîche, très moderne. Pour tout dire, je viens d’Irlande du Nord où j’étais la seule chanteuse blues, c’est un milieu dominé par les hommes mais ici, j’ai constaté que la culture, la musique font partie de la vie des Français. Tout ça m’a inspiré, notamment quand lors de ma première semaine en France j’ai visité des prisons, des écoles, pour dire à quel point la musique m’avait aidé d’un point de vue santé mentale : j’étais si submergée que je pouvais parler librement…
Ce n’était pas possible ailleurs ?
Non, impossible en Irlande du Nord ou en Grande-Bretagne : le blues est une si petite niche, datée que personne ne souhaite se lancer dans ce genre. Le blues est un genre très sélectif -tu te dois jouer le blues à douze mesures sinon tu n’existes pas- et comme je ne suis pas une artiste de blues à douze mesures, je pourrais en chanter bien sûr mais en tant que créatrice, j’écris des chansons qui donne l’espoir et que les gens puissent le ressentir… Pour moi, le blues à douze mesures est simple, je peux le faire sans problème mais je veux laisser un héritage, je veux inspirer les gens et je souhaite que les gens puissent peut-être aider d’autres personnes avec la musique…
Quoi de mieux qu’un best of pour amorcer une nouvelle étape de ta carrière et ton arrivée chez DixieFrog. Comment as-tu choisi les titres qui figurent sur "My Life And I" ?
C’est comme choisir ses enfants préférés, tu vois (Rires) ?
Et as-tu également choisi des titres moins connus, plus obscurs afin de les faire (re)découvrir ?
Oui, parce que quand tu sors ton premier album, tu peux faire plein d’erreurs mais tu apprends de ces erreurs… Il n’était pas prévu de mettre des titres de mon premier album "Get Ready" mais j’ai demandé à DixieFrog d’en mettre au moins deux parce que cela montrait le voyage que j’ai fait…
On a bien sûr pris les chansons qui m’ont amené ici comme ‘Because You Love Me’, ‘One More Fight (Lipstick and Cocaine)’ ou ‘Surviving’ qui sont le reflet de ma créativité…
Et il se trouve que le label, mon management et moi avons choisi nos chansons préférées…
C’est assez amusant parce que ta réponse est en tout point semblable à celle que m’as donnée Neal Black également signé chez DixieFrog…
Oh, c’est drôle (Rires) !
La France m’a apporté la paix !
Ta vie est remplie d’épreuves et de douleurs plus traumatisantes les unes que les autres. La musique ne peut pas changer le monde, mais elle peut sauver certaines personnes. Elle t’a sauvée toi. Même si tu as commencé à nous répondre en nous expliquant la raison de ton emménagement en France, où en es-tu aujourd’hui avec tes démons du passé ?
La France m’a apporté la paix ! Mes démons sont et seront toujours présents mais je me sers de la musique, je crois que la musique créé un espace de sécurité…
Les textes de tes chansons font référence aux événements de ta vie. Outre l’aspect cathartique évident, te donnes-tu également pour mission d’essayer de changer la vie de ceux qui t’écoutent, comme par exemple avec le magnifique ‘Don’t Slip Away’ ?
C’est une chanson sur le suicide. En Irlande du Nord nous avons le taux de suicide de jeunes le plus élevé d’Europe : chaque semaine, 14 adolescents s’ôtent la vie.
C’est bouleversant parce que les mères et les pères se rendent dans cette forêt parce que c’est là que les jeunes se rendent pour se tuer. Je vois les parents de ces cinq enfants qui vont dans cette forêt pour les détacher des arbres… J’étais tellement bouleversée que je voulais juste envoyer un message à ces gamins qui ont une vie très difficile dans cette société pour qu’ils sachent qu’il y aura toujours quelqu’un pour les aider à porter leur fardeau… Le message est qu’il ne faut pas qu’ils s’ôtent la vie parce que je suis passée par là !
"My Life And I" était aussi le nom d’un spectacle que tu as créé en 2018 et qui racontait ta vie en musique. Comment trouves-tu la distance nécessaire entre la pudeur et la mise à nu dans certaines de tes chansons ?
C’est une bonne question (Sourire) ! C’est vraiment une bonne question…
Si je faisais plusieurs concerts à la suite, ça pouvait devenir dur à gérer émotionnellement et je devais faire une pause, c’est la raison pour laquelle je ne faisais pas autant de concerts qu’aujourd’hui parce que ces vieux démons pouvaient revenir et me faire plonger dans la dépression…
Je sais désormais comment les contrôler ; ce n’est pas qu’une question de concerts mais c’est vrai que j’ai une relation très particulière, personnelle voire fusionnelle avec mes fans et à la fin de chaque concert, je discute avec une vingtaine d’entre eux qui me racontent l’histoire de leur vie et leurs traumas…
J’ai dû apprendre à prendre du recul parce que je me sentais vraiment mal pour continuer aussi bien au niveau créatif, pour continuer à inspirer les gens et à leur donner de l’espoir.
Aujourd’hui, tu me dis que tu ne crains donc plus de te dévoiler comme tu es parce que tu sais désormais contrôler tes émotions et ainsi ne plus avoir de limite…
Je n’ai pas de limite sinon ma démarche n’est pas vraie.
Mais je suppose que cette démarche devait être très compliquée au début ?
Définitivement ! Pendant vingt ans, j’ai chanté les chansons des autres et ça ne fait que dix ans que je relève mes pensées intérieures. Ces émotions étaient assez crues, brutes et donc dures à gérer les premiers temps mais j’étais entourée de personnes qui m’apportaient beaucoup de soutien et qui me protégeaient… Cela me permettait d’avoir la force de délivrer ces messages !
Nous souffrons tous de traumas en Irlande du Nord, c’est une partie de notre héritage !

Cette pudeur et cette sobriété sont particulièrement prégnantes sur ta chanson ‘One More Fight (Lipstick & Cocaine)’ que tu dédies au policier et au médecin qui t’ont sauvé la vie après l’agression d’un de tes ex-conjoints qui t’a littéralement laissée pour morte dans la rue. Rétrospectivement, si tu devais faire le bilan de ta vie, quelles sont les personnes pour qui tu aurais le plus de gratitude ?
Je vais me servir de cette interview pour clarifier des choses que je lis dans la presse et qui sont fausses : je n’ai pas été trouvé dans la rue, je n’étais pas une prostituée… j’étais à mon domicile où j’avais vécu sept années d’abus… Je voulais vraiment clarifier ces choses qui m’ont fait perdre la tête quand je les ai lus dans des magazines.
C’était la fin d’une relation suite au coup ultime qu’il m’a porté. En entrant dans la maison, un policier m’a sauvée parce que j’étais inconsciente et quand il m’a amené à l’hôpital, mon conjoint disait au personnel que j’étais agressive et que j’étais une santé mentale défaillante… Mais le docteur m’a cru, en disant que j’étais battue et qu’il fallait me protéger…
Je tenais vraiment à clarifier ces choses !
Pour répondre à ta question, mon mari est mon meilleur ami, c’est un homme formidable, c’est un policier qui a souffert de traumas mais nous souffrons tous de traumas en Irlande du Nord, c’est une partie de notre héritage ! On a longuement discuté du fait que les gens ne se rendent pas compte de ce que font les policiers, ils ne voient seulement ce que relaie la télévision… On ne se rend pas compte de ce que traverse un policier, de ce qu'il ressent quand il rentre chez lui auprès de sa famille… Après m’avoir transporté à l’hôpital la gorge tranchée, je suppose que ce policier a dû avoir des visions et des jours difficiles : je n’ai jamais pu le remercier, j’étais en train de me remettre, la guérison a pris une année mais c’est ce dont il est question dans la question quand je chante "He says come dance with me" (NdStruck : "Il (l’homme en uniforme) dit viens danser avec moi"), cela signifie qu’il va m’aider, me tendre la main… De la même façon, dans cette chanson, je remercie ce docteur qui m’a tendu cette main. Et enfin, je remercie ma mère dans sa tombe que j’ai vu quand j’étais allongée, je la voyais me dire : "Allez, chérie, lève-toi, prends ce téléphone : il faut que tu le fasses !" et (en français) voilà…
Toutes tes souffrances passées sont transmises par la puissance et la profondeur de ta voix. Les titres piano-voix notamment sont de véritables moments d’émotion pure, comme ‘Because You Love Me’, ‘Don’t You Know’, ‘Better Days’. As-tu réellement conscience du pouvoir émotionnel de ta voix ?
Je ne le réalisais pas auparavant mais encore aujourd’hui…
… dans ces conditions, comment expliques-tu que ces fans partagent leurs sentiments si personnels ?
Je vais te dire la vérité, il m’a fallu plusieurs années pour croire en mon talent et aujourd’hui, j’y crois et ça fait partie de ma guérison… Je crois vraiment que si je chante ce que j’ai écrit à cette époque, je retourne à cette époque quand je chante, c’est la raison pour laquelle mes fans sont si connectés à moi parce qu’ils comprennent que je sais ce qu’ils ressentent… Je suis également passée par là : ce sont nos moments !
Et quand je chante -en particulier ici en France- il y a ce truc inexplicable, cette chose merveilleuse qui se passe dans ces salles : il n’y a personne d’autre que le public et moi et je peux entendre les gens pleurer, je peux voir les yeux fixés sur moi… à ce moment précis, il n’y a rien d’autre que le soulagement, comme si chacun se disait : "Je ne suis pas seul !"… C’est mon héritage si j’arrive à délivrer ça au travers de la musique…
Sur l’album, tu reprends ‘Feelin’ Good’ en version blues et c’est sans doute la plus belle reprise jamais enregistrée de ce standard du jazz...
Oh merci !
... Nina Simone l’avait enregistré en plein mouvement en faveur des droits civiques des Afro-américains. Pour toi qui est née à Belfast en plein conflit nord-irlandais, était-ce une façon de faire un parallèle avec l’histoire de ton pays ?
Non, ça n’a rien à voir avec l’Irlande du Nord. En fait, je faisais simplement des recherches sur des comédies musicales et je suis tombée sur ces deux mecs blancs (NdStruck : Anthony Newley et Leslie Bricusse), c’était une vraie surprise de constater que cette chanson n’avait pas été écrite pas des noirs alors que c’est un hymne pour les droits civils…
J’étais destinée à chanter du blues !
Nous avons parlé de tes magnifiques titres piano-voix, mais "My Life And I" comprend également des morceaux très groovy d’inspiration rythm and blues comme ‘Believe With Me’, ’Drink With The Devil’, ‘Don’t Make Mama Cry’ ou encore la reprise de Van Morrison ‘Full Force Gale’. Penses-tu que tu aurais adopté un style de musique différent de la soul et du blues si tu n’avais pas eu la vie que tu as vécue ?
Non, je pense que j’étais destinée à chanter du blues ! Dès mes 10 ans, mon père me faisait s’assoir sur le bar et me faisait chanter pour de l’argent. Je ne savais même pas ce que je chantais mais les gens me donnaient de l’argent. Mon père me donnait un billet à apporter à ma mère et se gardait le reste pour le boire (Rires) !
Ta référence absolue reste Etta James à qui tu as rendu hommage à de nombreuses reprises et dont tu reprends sur cet album deux titres : ‘At Last’ et ‘Something’s Got A Hold On Me’. Comment as-tu trouvé la distance nécessaire pour ne pas l’imiter et t’approprier ces morceaux ?
(Sourire) Tu es bon, tu es vraiment bon… C’est vraiment une interview super intéressante, tes questions sont géniales…
Attends, tu n’as encore rien vu, je ne suis pas encore arrivé aux vraies questions comme "Quelle est ta chanson préférée ?" ou "Quand as-tu commencé à chanter ?"…
(Rires) !
Je pense que le fait d’avoir chanté les chansons des autres comme celles d’Aretha Franklin, Donna Summer… a naturellement formé ma propre identité, ma propre signature. Mais j’étais consciente que je devais arrêter de regarder Etta James sur YouTube après avoir bu un verre de Cognac parce que je l’imitais… Inconsciemment j’allais suivre son chemin alors que j’avais réussi à me construire une identité propre qui prend un peu de mes idoles… Ce n’était pas vraiment dur mais il fallait que je sois consciente que je ne manquais pas de respect à sa mémoire : en effet, ça aurait été plus simple de chanter comme elle ou l’imiter, ce qui aurait été un hommage mais ce n’est pas le cas. Mais j’ai un immense respect pour Etta James comme en témoigne le tatouage que j’ai sur le bras, elle est en moi : d’une certaine manière, je m’identifie à elle…
L’album se termine par ‘Shake’ et en écoutant ce titre, on pense immédiatement à Aretha Franklin. Tu es indéniablement l’héritière des grandes chanteuses soul des années 1950 et 1960…
(En français) "Oh merci !"…
… et tu mérites vraiment d’être beaucoup plus connue sur la scène internationale. As-tu réfléchi à la question et as-tu des projets pour exporter ta musique à plus grande échelle ?
Bien sûr !
Et quel est ce plan alors ?
La génération des gens de 40 ans continuent d’apprécier ces incroyables divas du passée… et aujourd’hui, globalement, je pense être l’une des dernières chanteuses de cette scène… De façon plus personnelle, mon objectif est de créer un héritage que je pourrais laisser à ma famille, laisser une trace et ainsi je pourrais reposer dans ma tombe et dire : "Je suis en-haut avec ces femmes !".
Aujourd’hui, nous sommes en train de travailler sur le prochain album, les sessions de travail commencent la semaine prochaine et nous devrions enregistrer en septembre… Ce prochain album sera un tout nouveau départ avec un nouveau son, de nouveaux musiciens…
"My Life And I" est une anthologie, une introduction et montre qui je suis et d’où je viens… mais le prochain album sera juste énorme !
Je veux que les gens comprennent ce qu’est l’empathie qui est au centre de tout ce que je fais…
Tu es très engagée en faveur du combat pour la santé mentale. Si tu avais un message d’espoir à dire à des gens qui souffrent aujourd’hui, que leur dirais-tu même si tu l’as déjà écrit et chanté dans une chanson ?
Tu sais, il faut écouter ‘Don’t Slip Away’. Je veux rappeler que la vie vaut d’être vécue ! Je veux que les gens comprennent ce qu’est l’empathie qui est au centre de tout ce que je fais…
C’est un merveilleux message qui devrait être le beau mot de la fin mais je dois boucler cette interview avec la question qui fait le lien avec la première à savoir que nous avons commencé par la question qu’on t’a trop souvent posée, au contraire, quelle est celle que tu souhaiterais que je te pose ou à laquelle tu rêverais de répondre ?
Ca serait : "Quelle association je soutiens en France ?" parce que je viens juste d’accepter d’être l’ambassadrice de "La Maison des Femmes" : j’y étais hier soir, j’y ai chanté…
J’essaie autant que possible de soutenir de nouvelles associations mais dans le cas de celle-ci, je trouvais important de soutenir ces femmes sous contrôle qui ne croient plus qu’elles peuvent s’en sortir…
Merci beaucoup
(En français) Avec plaisir !
Merci à Newf pour sa contribution...