Sans l'épisode covid et les confinements qui se sont succédés, "Call To Arms & Angels" aurait sûrement sonné différemment. Bien que séparés et contraints de travailler dans des conditions inédites, les musiciens d'Archive ont pourtant surmonté les difficultés inhérentes à cette période avec brio, en proposant un disque de près de deux heures particulièrement riche. Entretien.
Ce nouvel album, "Call To Arms & Angels" est venu en réaction à la pandémie. Quel a été l’impact de cette période sur votre vision de l’art et de la vie en général ?
Darius Keeler : Cette période a eu un impact très important sur nous tous. Ça nous a fait réaliser à quel point on est petits et insignifiants. C’est la première fois que l’on a vécu quelque chose comme ça. Je dirais qu’on a géré ça chacun à notre manière. Certains de manière plus positive que d’autres. Mais on s’en est sortis comme tout le monde !
Dave Pen : Et aujourd’hui on a des problèmes encore plus graves à l’Est.
Oui, on pensait avoir atteint un climax avec la pandémie, mais maintenant, il y a la guerre...
Darius : Nous vivons dans un monde très troublé, très volatile. Il y a des écarts de richesse conséquents. C’est une période fascinante. C’est l’époque la plus volatile depuis les années trente. C’est une époque dangereuse mais intéressante.
Je pense que la musique peut sauver les gens tout comme elle nous sauve, nous.

Et justement, quel est le rôle des artistes en cette période ?
Dave : On doit relater ce qu’il se passe. Nous avons notre propre interprétation, nos propres rêves, nous écrivons nos propres histoires bien sûr. C’est le rôle de l’art.
Darius : Notre musique est aussi un moyen d’évasion pour certains. Ils peuvent se déconnecter grâce à nous, surtout avec la musique d’Archive. Je pense que la musique peut sauver les gens tout comme elle nous sauve. On la joue avec notre cœur, avec toute notre âme.
Vous avez de la chance, en tant que musiciens, de pouvoir vous exprimer, ce qui n’est pas forcément le cas des gens qui ne sont pas musiciens.
Dave : On a tous nos forces et nos faiblesses, nos talents… Je pense que la pandémie nous a aussi permis d’apprécier les choses d’une autre façon.
Est-ce que cela a changé votre manière de travailler ? Vous qui travaillez de manière collective, vous ne pouviez pas vous réunir et répéter ensemble.
Darius : Avant le début de la pandémie, on voulait déjà travailler sur un nouvel album. On a notre propre studio, dans lequel on a enregistré nos trois derniers albums. Il y a beaucoup d’instruments là-bas, il y a de quoi expérimenter. Quand la pandémie a démarré, on était très limités. On n’avait pas beaucoup de matériel avec nous. Quand on est en studio, on peut avoir tendance à se focaliser sur les expérimentations, et on peut en oublier les chansons. N’ayant pas accès à notre studio, on a pu se focaliser davantage sur l’essentiel.

Cela signifie que sans pandémie, cet album aurait été différent ?
Darius : Il aurait été très différent.
Dave : Mais le fait que la technologie soit comme elle fait qu’on ne se sent pas non plus vraiment coupés les uns des autres.
En tout cas c’est un album avec des moments de contemplation, de tension. Une sorte de voyage, comme un film des évènements qui se sont déroulés ces deux dernières années. C’est comme ça que vous l’avez conçu ?
Darius : Le deuxième confinement en Angleterre a été très dur pour nous, car à chaque fois qu’on voulait booker le studio, il y avait de nouvelles restrictions.
Pollard Berrier : Je pense que toutes les émotions que l’on peut percevoir à l’écoute de cet album étaient en nous. Il y a des passages plutôt silencieux qui rappellent la solitude, et d’autres plus tristes empreints de douleur. Dans cet album, il y a tous les sentiments que l’on a pu ressentir pendant cette période.
Dave : Je pense que c’est l’un des albums les plus équilibrés que l’on ait enregistrés.
C’est un album dense, peut-être le plus dense à ce jour (104 minutes au compteur !, ndlr), avec une alternance de titres courts et d’autres longs. Cela fait longtemps que les morceaux longs n’avaient d’ailleurs pas eu une place aussi importante. Pourquoi ce choix-là ? Etait-ce pour exprimer la frustration de ne pas avoir sorti de nouvelle musique depuis 6 ans ? Vous ne vouliez vous mettre aucune limite ?
Darius : Les epics, c’est difficile à planifier. En général, ça progresse d’une idée, d’une émotion. ‘Daytime Coma’ (14 minutes, ndlr) fonctionne comme ça aussi.
Dave : Les longs morceaux font partie du son d’Archive. C’est comme la vie. Parfois, il faut savoir prendre le temps.
Pollard : C’est en quelque sorte une journée type durant la pandémie. C’est une expérience irréelle.
Dave : Oui, il y a le silence, la colère, la frustration, la peur. On a tous vécu ça !
C’est humain ! On a tous ressenti ça, la colère, la tristesse…
Dave : On ne savait pas ce qui se passait ! Au début, on essayait de comprendre ce qui se passait. Avec le temps, les gens ont changé. Certains ont changé de travail par exemple. Il y avait des aspects positifs.
Pollard : On a aussi pu s’occuper de nos enfants, alors que d’habitude on est en tournée. C’était génial !
Dave : Personnellement, j’essaye de prendre les choses avec optimisme. Je pense que les choses vont s’arranger. Je veux vraiment y croire !

Il y a beaucoup de “climax” sur cet album, et aussi, de très belles melodies. Je pense par exemple aux chansons ‘Surrounded By Ghosts’ et ‘Shouting Within’, qui sont empreintes d’une forme de simplicité. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Darius : C’est une question très difficile ! On aime tous composer. C’est dur de quantifier nos propres chansons, d’où les mélodies nous viennent, car il y a plusieurs personnes impliquées, chacune avec ses propres influences.
On parlait de ‘Daytime Coma’ tout à l’heure. C’est le morceau le plus long de l’album, sûrement le plus cathartique, également. C’est un morceau qui progresse jusqu’à une explosion finale avec ce fameux cri. C’est certainement le morceau qui se démarque de l’album. Est-ce pour cette raison que vous avez choisi d’en faire le premier single ?
Dave : Ce n’était pas censé être le cas à la base, mais finalement c’est devenu notre premier single !
Darius : Mais comme on le disait tout à l’heure, ce morceau incarne vraiment une journée dans la peau de quelqu’un qui vit la pandémie. Donc c’était sûrement le meilleur choix à faire.
Pollard : C’était une façon pour nous d’amorcer notre retour également. Voilà où on en est.
Darius : Et ce qui est marrant c’est que la fin du morceau est arrivée sur le tard. Sur la démo originelle, il n’y avait pas cette fin. C’est avec l’ensemble des musiciens que l’on a voulu faire une explosion à la fin.
Le titre ‘Freedom’ a aussi une atmosphère particulière qui propose des éléments pop à la façon des Beatles, mais aussi des éléments propres au classique qui créent véritablement ce sentiment apaisant de liberté. Est-ce que l’on peut dire que ce morceau est l’un de vos meilleurs à ce jour ?
Dave : Je pense qu’on pourrait dire que beaucoup des morceaux de cet album font partie de nos meilleurs morceaux.
Darius : Cela fait partie de ces chansons que l’on a vraiment vécues. On n’écrit pas une chanson parce qu’il faut que l’on écrive. Il faut vivre des choses pour écrire. La force de cette chanson vient de là.
On retrouve aussi un côté conceptuel à travers cet album. Un documentaire, Super 8, accompagne sa sortie, il y a un artwork énigmatique… Est-ce qu’il y a une volonté de pousser l’art à son paroxysme ?
Pollard : Archive est de l’art, au sens premier. C’est ce que l’on est ! Et le documentaire montre dans quelles circonstances nous avons réalisé cet album. Archive a toujours eu cette dimension artistique, car notre musique exprime beaucoup de choses. Je pense qu’on se considère vraiment comme un collectif. Le documentaire et l’artwork ont été réalisés par des gens qui travaillent avec nous sur l’aspect visuel. Cela fait partie de nous, c’est une extension de nous. C’est la beauté de la création, et on en est honorés !
Dave : Chacun joue son rôle.
On a toujours fait ce qu’on avait envie de faire

Et c’est quelque chose de précieux. Vous faites ce que vous voulez, ce n’est pas rien, dans une industrie comme celle-là.
Dave : On est chanceux. Au début, le groupe a pu faire des erreurs. Quand on est arrivés avec Pollard, les choses ont change un peu. On a beaucoup travaillé, on a cru en nous, on a beaucoup communiqué. Communiquer c’est le plus important. On a grandi. On a toujours fait ce qu’on avait envie de faire.
Darius : On ne fait pas de compromis.
Dave : Beaucoup de groupes aimeraient être à notre place. Certains groupes sortent un hit, et après, ils sont coincés dans une direction.
Pollard : Tu peux devenir esclave de ta musique.
Dernière question ! Cet album est peut-être le plus personnel, le plus cathartique que vous ayez fait. Peut-être le plus beau et le plus abouti alors qu’il a été composé dans une période sombre. Est-ce le propre des œuvres les plus belles d’être issues de moments sombres ou de périodes de souffrance ?
Darius : Peut-être, oui. Tu as sûrement raison. En tout cas, les albums que l’on fait librement sont les plus importants. Avec Archive, nous avons trouvé un moyen de nous exprimer avec plus de profondeur.
Merci beaucoup !
Les trois : Merci !