Tout n'est pas facile pour Little Bob : la disparition de son épouse en 2019 et la crise sanitaire l'année dernier mais malgré tout, l'artiste ne se laisse pas abattre et propose un album généreux et optimiste "We Need Hope". Rencontre avec la légende pour une interview émouvante.
Tu avais conclu notre précédente interview sous forme d’espoir pour la musique ta passion avec le constat dans lequel tu relevais que plus personne ne l’écoute comme avant et que la vente des disques diminue. 2020 est passée par là et tu reviens avec "We Need Hope", comment as-tu abordé cette période ?
Très mal, je ne l'ai pas abordé du tout. Avec le groupe, on a fini l'année 2019 en écrivant la plupart des chansons et en faisant quelques concerts puisque à part ce concert pour radio Perfecto qu'on a fait à Paris, on avait été à Londres pour 3 soirées car il y a un label londonien qui avait sorti le précédent album et qui voudrait bien sortir celui là aussi. Le propriétaire était un fan qui venait nous voir à la grande époque. C'est dur également car j'ai perdu ma douce début 2019. J'avais mon 18ème album qui allait sortir et 5 lives soit 23 disques en 45 ans de vie professionnelle. Ça été dur à passer l'année et c'est encore dur aujourd'hui car on ne sait pas quand on pourra rejouer.
Et pourtant tu restes optimiste...
Oui, car j'ai des répétitions dans l'arrière-salle d'un magasin de musique à Rouen. Je fais de la route (Rires) du Havre à Rouen. En fait, de temps en temps une fois par semaine on essaye de répéter avec le groupe, même si il y en a un qui vient de Paris. L’harmoniciste vit à Brest, il reste là-bas. Le batteur qu'on avait avant, qui est mon neveu, est à Bruxelles donc il ne peut pas venir. J'ai un second batteur qui le remplace, car mon neveu est un batteur de Jazz, il a un groupe depuis longtemps qui tourne mondialement et il continue à jouer avec, et donc il ne voulait pas laisser tomber ses amis. Ce deuxième batteur est un roadie que j'avais et qui voulait depuis longtemps jouer avec moi. Du coup il travaille avec nous et joue sur 10 titres sur 13 sur ce nouvel album.
Tu as dû t'adapter pour enregistrer ce nouvel album ?
On devait aller à Bruxelles et c'était le moment où le Covid a explosé. L'album a été enregistré courant février quelques jours avant le confinement. Et on avait besoin de quelques jours pour le finir comme les chœurs, finir des parties de grattes. On a pu le faire qu'au mois de juin et l'album était prêt au début d'année. Depuis on attend. Il a été mixé au Havre par notre ingé son et on a fini les enregistrements à Rouen dans un studio qui fait de la variété. On a fait le mastering à Paris mais on n'était pas là car le type revenait d’Égypte et sa femme a attrapée cette maladie mais on est très satisfaits du résultat malgré ses conditions difficiles. On attend qu'il sorte maintenant. On voulait le sortir fin août début septembre de 2020...
L'album est dans son ensemble très émotionnel quand on connait bien sûr le contexte, il est dédié à ton épouse disparue Mimie (Myriam) en 2019....
Il a été composé alors qu'elle n'était plus là, oui...
... tu lui consacres plusieurs chansons notamment ‘Made For Me’. Elle était notamment très investie dans ta carrière...
Elle était très courageuse, c'est elle qui conduisait notre mini bus pour les tournées. Elle était avec nous, elle réglait toutes nos histoires.... Elle était extraordinaire. Ce que j'ai perdu avec elle, je ne pourrai pas le retrouver.
En son honneur j'ai continué et comme j'aime ça, il n'y a que ça que j'aime, ma musique.

... Comment as-tu trouvé la force de continuer seul ?
Je me suis dit "c'est ça où je vais mourir, je vais disparaitre". Avec ses pensées, tout le monde m'a dit : "Si Mimi t'entendait dire ça, elle serait très fâchée". En son honneur j'ai continué et comme j'aime ça, il n'y a que ça que j'aime, ma musique.
C'est ta deuxième femme ta musique, ta seconde épouse ?
C'est exactement ça, depuis plus longtemps même...
C'est pour ça, ce n'est pas ta maîtresse mais ta seconde épouse...
Mimi était ma maîtresse mais aussi mon épouse (Rires). J'avais en effet deux épouses.
C'est elle qui te porte encore de là-haut...
J'ai eu beaucoup de mal à écrire les chansons au début car tout ça était dans la tête, et elle était partout dans mes pensées, dans mon cœur, dans tout ce que je faisais. Et puis en fin de compte en parlant d'elle mais pas seulement, c'est venu petit à petit. Elle a le droit comme ça à la moitié de l'album.
On suppose que c’est pour toi l’album le plus émotionnel (avec des titres comme ‘You Can’t Come Back’...) ...
Même pour chanter certaines chansons c'est difficile. 'Made For Me' est passé tranquillement mais 'You Can't Come Back' avec la contrebasse c'était extrêmement difficile. Les gars m'ont aidé et accompagné. Ce sont certainement les chansons les plus difficiles que j'ai jamais écrites car elles étaient encore plus personnelles. Mais il fallait que j'aille de l'avant et j'ai commencé à parler d'autres choses. La première que j'ai écrite c'est 'We Need Hope', on l'a mise en premier pour être un cri d'espoir mais pas celui que tout aille mieux et qu'on s'en sorte mais plus largement que la société puisse changer et c'est un espoir qui ne peut pas marcher donc c'est un espoir vain. C'est une société qui accumule le pognon, le blé et le CAC40. Tous ces milliardaires archi riches face à de plus en plus de gens au chômage, pauvres, qui ne peuvent plus travailler...
Je me sens libéré mais pas encore tout à fait complètement, comme on ne joue pas...
Tu disais que ton plus grand défi était de trouver la bonne interprétation, il y en a qui aurait grossi le trait dans l'émotion et toi, à l'écoute de l'album, tu es très juste, tu ne surjoues pas. C'est peut être dû au fait que cet album est pour toi une sorte de catharsis ?
C'est vrai, tu as bien trouvé le mot. J'ai évacué beaucoup de choses même si Mimi est toujours là. Je me sens libéré mais pas encore tout à fait complètement, comme on ne joue pas... J'ai besoin de chanter. Regarde, là je chante en répétition et je suis déjà heureux de ça. Je peux dégager ce que j'ai à dire. Mais, en ce moment ce n'est pas facile. On voudrait renouveler le répertoire qu'on pêche dans les 18 albums précédents. Je demande aux gars ce qu'ils veulent jouer mais il faut pas que je laisse de côté les vieux fans. Des chansons qui comptent comme 'High Time' ou comme 'Riot In Toulouse' qu'on peut jouer de façon bluesy... 'Libéro' on ne peut pas ne pas le jouer... Et puis les gens, je les fait chanter. On prépare tout ça, ça aide.
Ce sont des problème de 'Riches' musiciens....
45 ans de carrière, t'imagines pour tout résumer en un concert...
Aujourd'hui un chanteur ou groupe qui commence ne pourra pas se targuer d'une telle longévité. Les artistes aujourd'hui sont plus éphémères....
Non, ils ne vont pas vivre ce que j'ai vécu. Un jour, je ne sais pas si je vais partir sur scène mais la force est toujours là. Je veux encore chanter....
Dans l'ensemble ce nouvel album est un peu plus rock que blues, un peu à la manière de Gary Moore...
Oui, je suis venu à un truc plus rock. Le blues est toujours en moi mais il est un peu en retrait. Le dernier album était rock mais un peu plus blues. Et là, j'ai dit tant pis, ce sont les mêmes musiciens qui m'accompagnent depuis 40 et 30 ans... Je suis du signe du taureau, il faut que j'aime les gens avec qui je joue et que je ressente qu'ils m'aiment et me respectent aussi. Tu sais l'album... j'oublie ce qu'a été ma vie avec ma douce quand je suis en répétition avec eux. L'album je le fais pas tout seul. J'écris les chansons et on en discute ensemble. Il y en a toujours un qui a une bonne idée sur des accords...
Cette expressivité plus rock, parce que je vois le blues un peu comme une complainte...
Quand tu écoute 'You Can't Come Back' c'est une complainte...
Tu as d'autres chansons un peu plus rageuses et c'est un peu comme si tu criais à la vie plutôt que de te plaindre...
Oui, tu es doué toi ! C'est vrai car c'est ma vie, la musique c'est ma vie. Comme tu le dis c'est ma première femme. Pour moi c'est ma thérapie. C'est la vie, dans tout ce que je fais de l'écriture aux répétitions et sur scène. Je suis heureux. Je vis pour la musique. Je ne suis pas quelqu'un qui se plaint. Je suis un homme qui se bat contre tout. Aujourd'hui encore plus. Il y a une chose que je ne peux pas faire c'est battre la Covid.
Tu es presque le dernier rebelle rock ?
Tu crois ?!

Il y en a beaucoup moins. On avait rencontré Didier Wampas qui disait que le rock s'était embourgeoisé depuis des années et que le rap avait pris le relais dans cette subversion....
Pas chez moi, je ne suis pas embourgeoisé.
C'est pour ça qu'on te fait cette remarque....
Oui, il faut que je le reste, c'est une forme d'authenticité. Les Wampas viennent jouer dans les fêtes de la musique donc tu fréquentes un peu le showbiz dans ces milieux -là. Moi la rencontre avec le showbiz c'est avec mon attachée de presse et c'est tout. Les autres c'est par téléphone, je suis un peu isolé et ça me va comme ça.
Cet "isolement" ça te permet de te préserver de ça ?
Je ne sais pas, je suis assez entier. Mon père était pareil. Au départ il était un peu anarchiste à cause de son père à lui qui l'était vraiment. C'est pour ça qu'il l'avait appelé Libero mais le pauvre il n'a jamais été libre. C'est pour ça qu'il m'a toujours dit "essaye d'être libre toi, de faire ce que tu veux". La preuve c'est que j'ai pas une boite de disque depuis longtemps. J'ai auto produit mes albums avec le fruit de la Sacem et des droits d'auteur. Ma petite femme était avec moi et elle ne courait pas s'acheter des robes ou une nouvelle voiture. Elle me disait "met cet argent de côté et si dans un an ou deux tu as envie de faire un nouvel album, tu as ce qu'il faut pour". Après Little Bob Story jusqu'au Blues Bastards le blues était là et du coup j'étais libre de faire ce que je voulais comme ça. Les albums sont toujours là et ils sont cools. Grace à ce système je suis fier de chacun de mes albums. On a réécouté avec le groupe et les chansons sont bonnes.
Ça a du être dur pour faire les deux best of...
Oui, ça n'était pas évident du tout de faire les choix.
J'ai eu envie de lui redonner de la puissance et tout son sens originel qui a disparu depuis longtemps.
Sur l’album il y a plusieurs reprises notamment ‘Bella Ciao’ qui est un chant de résistant, est ce que cette reprise a été choisi en réaction de la situation actuelle ? Et as-tu voulu lui redonner une couleur particulière, authentique et rageuse, ce chant étant utilisé à n’importe quelle sauce (séries, concours de chant…) et perdu peut-être de son message ?
C'est un chant qui représente l'anti-fascisme et l'anti-racisme. Je l'ai reprise en effet car il y a beaucoup de gens qui l'ont joué. C'est pas là-dedans que j'ai cherché mon truc. C'est une chanson très actuelle et ont va la jouer à chaque concert. C'est terrible de voir les gens qui oublient tout ce qui s'est passé. On n'a pas besoin de ça. Le fascisme c'est pas une rébellion contre le capitalisme. On a besoin d'autre chose. J'ai eu envie de lui redonner de la puissance et tout son sens originel qui a disparu depuis longtemps.
La dernière chanson 'Freedom' est construite tout en progression, avec des cassures....
Et en même temps c'est ma tristesse qui transparait dans ce titre. C'est parce que je me sens tout seul depuis 2019 et Mimi elle est là dans cette chanson particulièrement. Il y a même vers la fin 'I Need You' et le batteur avait des frissons de m'entendre chanter comme ça. C'est un manque que je chante. Un manque de tout. J'ai l'amitié des gens qui jouent avec moi et là j'ai manqué de tout. J'ai encore un frère et une sœur qui sont loin. Je ne les vois pas tout le temps surtout avec le Covid mais j'ai pas peur du Covid, il arrivera ce qu'il arrivera. J'habite près des docks, quand je sors avec mon masque pour faire les courses, après je vois personne. Je marche seul autour des quais et il y a personne.

Mais tu as la musique et tes fans, c'est quelque chose de très précieux parce que tu n'es pas seul au travers cela ...
C'est pour ça que je fais des réponses sur Facebook, ils sont là et ils méritent que je leur réponde. Ça nous rapproche en dehors des concerts. J'espère qu'ils vont acheter l'album parce que je peux pas leur emmener en tournée là.
Tu rends beaucoup d’hommages dans tes albums (Lemmy précédemment), ton père et dans celui-ci aussi (ton épouse évidemment) mais aussi à Guy Georges Grémy. C’est important pour toi d’affirmer une sorte de reconnaissance ?
On cherche Guy Georges et on n'arrive pas à le joindre. Il y a 4 ans on avait donné un concert pour les 40 ans de carrière au Havre et on voulait qu'il soit présent pour jouer avec nous. Il est à Nice, il est un peu isolé et ne veut plus voir qui que ce soit, je ne sais pas pourquoi. Je sais qu'il a un toit sur la tête, je suis content mais je ne sais pas de quoi il vit, peut-être de cours de musique. On formait la story mais maintenant on ne peut plus. Barbe Noire ne joue plus de contrebasse depuis longtemps. Il n'y a plus que le batteur qui joue encore.
Tes musiciens c'est un peu ton autre famille vis-à-vis de laquelle tu as besoin d'exprimer cette reconnaissance, de la formaliser....
J'ai besoin effectivement de le leur dire car sinon je suis tout seul, vraiment. Même vous, je suis heureux de vous voir, de parler de ce que j'aime ça me fait du bien.
Et si tu penses à tout cela, le blues tu l'as toujours.
Tu es une légende du blues rock avec une vision très personnelle, positive souvent, quelle est la définition du blues pour toi ?
Le blues c'est au départ les blacks qui étaient mal mais ils faisaient aussi des trucs heureux dedans. Là le blues, je l'ai ressenti en étant immigré italien quand je suis arrivé en France. J'ai subi le racisme aussi. Et c'était du genre "Macaroni Voleur", des trucs complètement cons. Je demandais rien à personne. Et ce blues-là, je l'ai ressenti très fort en moi. Et puis après le blues plus heureux, c'est quand on parle d'une femme qu'on aime. Il y a deux aspects. Comme j'essaye d'être le plus humain possible, de voir l'humanité dans cette société si on peut encore la voir. Quand tu vois les blacks aux États-Unis c'est encore dur, quand tu vois le fascisme en France qui revient, c'est dur et le blues est encore plus d'actualité. On a des immigrés qui arrivent, mais ils partent car chez eux ils ne peuvent plus survivre parce qu'il y a des guerres ou des massacres ou plus rien à bouffer car le soleil tape très fort chez eux. Ils viennent pour se sauver. Ils croient qu'ici il y a la manne, mais elle n'y est plus ici. Ça fait des chômeurs en plus. Et si tu penses à tout cela, le blues tu l'as toujours.
Les chansons de l'album sont relativement courtes....
C'est vrai, on s'est étonné nous même. Ce n'était pas voulu pour les radios. Il y en a que de deux minutes... En fait on les aime comme ça, c'est idéal pour un vinyle.
Qu’est-ce que tu attends de cet album ?
J'attends de l'amour et de la reconnaissance des gens. Ceux qui connaissent pas le rock sont difficiles à attirer mais des fois ça marche. Parfois ils sont curieux, achètent mes disques en concert et ils sont surpris agréablement. C'est pas une question de monnaie. Plus il y a de gens qui écoutent plus j'ai l'impression de recevoir de l'amour.
Ce n’est donc pas le chant du cygne de Little Bob ?
Bien sûr que non, j'aimerais bien refaire un CD live. Il y a des concerts où on était tellement bien et j'aimerais le mettre sur un CD. On verra ce que ça donnera, j'ai déjà commencé à écrire de nouvelles chansons. Ça fait un an que j'ai écrit celles de "We Need Hope", et là l'inspiration revient.
Aujourd'hui cet album t'a permis de tourner une page et en quelque sorte de faire ton deuil ?
Oui, tu as tout à fait compris. Après, hélas je ne suis pas optimiste à fond sur l'avenir. Mais je reste raisonnablement optimiste quand même.
On te remercie pour cette interview très émouvante et pour cet album.
Merci à vous, j'ai hâte de vous lire. A bientôt sur un concert parisien.