Qui aurait pu imaginer que deux jeunes filles anglaises puissent être repérées par le grand Tom Morello sur la base d'un simple single ? C'est pourtant le destin réservé à notre duo londonien qui a franchi un premier cap en partant en tournée avec Prophets Of Rage, et un second en sortant son premier album "Who Are The Girls ?" en début d'année 2020. Rencontre avec Amy Love (chant, guitare) et Georgia South (basse, claviers, chœurs) qui sont revenues sur leur parcours pour Music Waves.
Quelle est la question que l'on vous a trop posée et à laquelle vous avez marre de répondre ?
Amy Love : Les questions traitant du féminisme.
Georgia South : "Êtes-vous féministes ?", alors que c'est évident.
Nous nous demandions plutôt pourquoi deux amies se décident à former un groupe : l'ennui ? l'envie de s'exprimer ? Les deux ?
Amy : La chose principale est que Georgia et moi avions envie d'écrire de la musique. Certains font de la musique pour faire passer un message. Nous, nous avons commencé la musique car nous aimions ça. On a aimé travailler ensemble et amener chacune une contribution différente. Et quand tu te dédies à ça, tu réalises que tu as une sorte de responsabilité. Les choses deviennent sérieuses. On a une responsabilité envers les gens qui viennent à nos concerts. On est importantes pour eux. C'est comme ça que l'on s'est rendu compte que l'on devait faire passer un message au-delà de la musique.
C'est marrant que tu me dises ça car je comptais vous en parler plutôt en fin d'interview : en termes de paroles justement, quel est le message que vous voulez délivrer ? Tout le monde sait que vous avez tourné avec Prophets Of Rage (groupe de rap rock/metal américain fondé par des membres de Rage Against The Machine et Audioslave), et vous êtes engagées politiquement parlant tout comme eux.
Amy : On parle de choses que l'on sait. Nous ne sommes pas politiciennes. Tom Morello a un diplôme là-dedans, il a étudié ce domaine en profondeur donc il peut en parler. De notre côté, on parle plus de nos expériences et de ce contre lequel nous luttons et contre ce qui nous semble être mal. Nous voulons mettre en lumière et faire de la place à la diversité et à l'acceptation. On veut rassembler des gens de couleurs différentes, de sexualités différentes, pour qu'ils se sentent à l'aise. Il nous reste beaucoup de chemin à faire à ce niveau-là.
Considérez-vous que ce message ne bénéficie pas d'une visibilité suffisante car vous êtes des femmes ? Pensez-vous que votre message a moins d'impact car il est prononcé par des jeunes femmes ?
Amy : C'est difficile à dire ! C'est plus difficile pour les femmes en général. Pour Prophets Of Rage ou Rage Against The Machine, ça n'a pas été facile non plus. Ils ont dû se battre aussi.
Georgia : Il faut bien commencer son combat un jour. On ne peut pas nous comparer à Prophets Of Rage qui est vraiment un gros groupe. Il faudrait nous comparer à un groupe qui a notre taille.
Amy : En tant que femmes ce n'est pas facile. Si tu regardes les groupes qui jouent à un festival, ils sont composés à 95% d'hommes. Dans les festivals de rock, c'est encore pire. Il n'y a pas de place pour les femmes ou les femmes de couleur. Tu vas avoir 1% de groupes de femmes de couleur pour un million de groupes de rock composés d'hommes blancs.
L'un des tournants de votre carrière a été de tourner avec Prophets Of Rage, donc. Qu'avez-vous appris en tournant avec un tel groupe ?
Amy : Beaucoup !
Georgia : Ils nous ont donné des conseils.
Amy : Des petites choses et des choses plus importantes.
Georgia : Ils s'occupent très bien de l'équipe avec laquelle ils tournent.
Ah parce que vous vous traitiez mal votre équipe jusqu'à présent ? (Rires).
Amy : Ils travaillent tous ensemble ! Ils se respectent.
C'est un peu comme une famille.
Amy : C'est ça. Des fois, tu entends parler de groupes qui sont des superstars et qui ne sont pas très sympas.
Georgia : Ils ne sont pas comme ça. Ils sont humbles et ils nous ont encouragées.
Ce n'est pas un groupe typique de superstars à ce niveau-là.
Georgia : On n'en a pas rencontré beaucoup donc on ne peut pas se prononcer.
Amy : Et malgré leur longévité, sur scène, ils se donnent à fond. Physiquement parlant, notamment.
Georgia : Ils se préoccupaient beaucoup de ma jambe, car je me tenais beaucoup sur une jambe pendant que l'autre actionnait mes pédales. Ils me disaient comment m'occuper de ma jambe. Tu passes une heure à travailler sur une jambe et à la longue, cela peut causer des soucis.
Amy : Et ils sont tous super en forme physiquement.
Georgia : D'une manière générale, ils nous ont beaucoup soutenues. Ils nous ont dit de continuer ce que l'on faisait. Ils nous ont dit de poursuivre notre chemin. Ils nous ont dit d'avoir confiance en nous.
Avez-vous un manque de confiance en vous ? Car ce n'est pas l'impression que vous donnez. Vous n'avez pas l'air timides ou quoi que ce soit. Je vous ai vu deux fois sur scène et vous êtes des bêtes ! Même au Hellfest, vous avez eu des soucis d'accordage et vous avez assuré !
Georgia: Au Hellfest, on s'est mal compris, on croyait que l'on devait passer 20 minutes plus tard, et en fait on nous a dit que l'on passait dans 2 minutes, alors qu'on n'avait pas fini nos balances. Il a fallu qu'on se dépêche.
Mais du coup, vous avez un problème de confiance en vous ?
Georgia : On a confiance en notre groupe ! Mais on a un peu de pression avant de monter sur scène bien sûr, surtout avant des gros concerts comme le Hellfest.
Amy : On est humains, et il faut dire que l'industrie musicale est compliquée ! Si tu fais quelque chose de différent des autres, il ne faut pas se dire que ce n'est pas bien car c'est différent. Au contraire ! Il ne faut pas chercher à rentrer dans des cases. Quand on a commencé à jouer, on s'est dit que les gens allaient se demander ce que c'était que notre musique. Mais c'est normal de se poser des questions, surtout au début.
Georgia : Oui, quand tu es jeune, tu t'en poses beaucoup. Quand les gens nous voyaient, ils se disaient : "oh, ça va être encore un groupe pop ou r'n'b". Ce n'est pas ce qu'ils voulaient voir.
Amy : C'est facile pour les gens de nous cataloguer dans ce style.
Quelle a été votre réaction quand Tom Morello a dit que vous étiez le meilleur groupe dont les gens n'avaient jamais entendu parler ?
Georgia : Il nous a beaucoup encouragées. Il nous écrit souvent, aussi. Il nous demande des nouvelles. Au-delà de son statut d'icône, on l'apprécie beaucoup. C'est fou quand on y pense ! (Rires). Quand on le voit on lui dit : "ça va Tom ?", mais c'est Tom Morello quoi ! C'est une légende !
Vous venez de sortir votre premier album, "Who Are The Girls ?". Le groupe a été créé en 2014. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour sortir cet album ?
Amy : En 2016, on a sorti notre premier single, mais on ne savait pas vraiment ce que l'on faisait. On ne prévoyait rien à l'époque. On avait du soutien de nos familles et des musiciens autour de nous, ils nous ont encouragées à faire ce que l'on voulait. Alors on a sorti un single, et à côté, on a joué beaucoup de concerts. On jouait tout le temps ! On ne pensait pas à enregistrer d'album car on adorait jouer sur scène.
Georgia : On ne savait pas trop comment ça fonctionnait dans le milieu.
Cet album est un mélange de rock et de punk quand on écoute des morceaux comme 'Vortex', 'Play Fair' ou 'Devil's Face'. On ne peut pas ne pas faire le parallèle avec Rage Against The Machine ou The Prodigy. Est-ce un moyen de réconcilier le rock, la musique pour les gens vieux comme moi et le hip-hop mainstream ?
Amy : Je ne crois pas que ce soit intentionnel. Nous jouons la musique que nous aimons. C'est une connexion entre nous. On a grandi dans le hip-hop, j'ai eu ma phase punk et glam rock aussi. On n'a pas décidé ça consciemment. Mais on aime The Prodigy et Rage Against The Machine, bien sûr.
Si je vous dis que vous êtes un mélange en Living Color et No Doubt, est-ce que vous êtes d'accord ?
Amy : No Doubt, pas vraiment ! (Rires).
Au moins Living Color ?
Georgia : Je pense que chaque personne va trouver des influences différentes dans notre musique.
Vous aimez ajouter des effets à vos instruments. Vous ajoutez du fuzz à la basse et de la whammy pour la guitare. Est-ce que Jack White et les groupes de garage rock, en plus de Tom Morello, sont vos influences principales ?
Georgia : J'ai écouté de l'electro dans ma jeunesse et du hip-hop, et du dubstep en grandissant. J'ai eu envie de reproduire cet effet électro, mais pas informatiquement, plutôt avec des pédales. Mon jeu tire ses influences de ces styles-là.
Est-ce que vous pensez être sous-estimées musicalement parlant car vous êtes des femmes ?
Georgia : Quand on va sur scène, il faut qu'on se donne dix fois plus que les autres car autrement, on va nous sous-estimer. Mais ils ne nous sous-estiment pas quand ils nous voient à l'œuvre. Sans tous les musiciens qui nous ont soutenues, je pense qu'on aurait beaucoup plus galéré.
Après vous avoir vues au Hellfest et au Zénith de Paris, on peut dire que vous êtes un sacré groupe sur scène. Pensez-vous que vous avez réussi à retranscrire l'énergie que vous donnez sur scène sur votre album ?
Amy : Cette fois-ci, oui !
Georgia : Je pense qu'on a appris beaucoup de nos expériences précédentes, en jouant dans des festivals et en donnant beaucoup de concerts. C'est ce qui nous a permis d'avoir ce son aussi gros sur l'album.
Qu'est-ce que vous attendez de cet album ?
Amy : On n'attend rien de cet album. On veut juste le donner à notre public et permettre aux gens de montrer qui nous sommes. On a joué dans beaucoup de gros festivals jusqu'à présent sans avoir sorti d'album pour autant, simplement en ayant sorti un single ! On voulait avoir un travail à présenter aux gens. On espère que cet album touchera un maximum de personnes et que cela va permettre de lancer la machine et d'avoir plus d'albums après ça. Pour nous, c'est un moment particulier d'avoir ce premier album sorti.
Vous avez en parallèle lancé votre marque de vêtements, Bad Stitches. Pourquoi cela ?
Georgia : On aime fabrique nos propres vêtements, alors on s'est dit : "pourquoi ne pas faire des vêtements pour les autres ?". Cela croît très lentement car les vêtements sont cousus main. On y consacre du temps en coulisse et on espère que la marque prendra de l'ampleur.
Pour commencer, je vous ai demandé quelle avait été la question que l'on vous avait posée trop souvent. Au contraire, quelle est celle que vous auriez aimé que je vous pose ?
Amy : Quelle est notre nourriture préférée peut-être ? (Rires). Je ne sais pas !
Dans ce cas, je vous propose que l'on commence notre prochaine interview par cette question ! Je vérifierai que vous aurez bien fait vos devoirs ! Merci beaucoup !
Les deux : Merci beaucoup !
Merci à Newf pour sa contribution...