8 ans. C'est le temps que les fans de Dimmu Borgir auront dû attendre pour entendre le dernier album des Norvégiens. Avec ce nouvel album, "Eolian", paru chez Nuclear Blast, et malgré une longue absence, le sextuor ne renie pas ses influences black metal pour autant et les prolongent au contraire à travers un nouvel aspect épique et théâtral grandiose. Shagrath et Silenoz, respectivement chanteur et guitariste et également les deux seuls membres fondateurs faisant toujours partie du groupe depuis sa création en 1993, se sont prêtés au jeu de l'interview pour Music Waves.
Nous aimons commencer nos interviews sur Music Waves par la question suivante : quelle est la question que l’on vous a trop souvent posée ?
Shagrath (chant) : Pourquoi cela vous a-t-il pris autant de temps pour sortir cet album ? (Rires). (Le dernier album « Abrahadabra » étant sorti en 2010, ndr).
Après tout ce temps, comment gérez-vous votre retour et qu’est-ce qui est le plus difficile ? Les tournées et leur rythme effréné ? S’entretenir avec les médias ? Retourner sur scène ? De revenir après une longue absence ?
Shagrath : Cela fait 25 ans qu’on existe. On a rencontré beaucoup de monde, répondu aux mêmes questions, mais nous savons tous les deux que cela fait partie du deal !
Silenoz (guitare) : On s’y est préparé. En sachant qu’on sort un très bon album, ça nous donne de la confiance.

Après être revenus à la vie normale, quels sont les éléments clés qui vous ont fait revenir dans le business musical ? Vous avez passé du temps à la maison avec vos familles ?
Shagrath : Nous avons tous des enfants, et c’est une haute priorité dans notre vie, tout comme la musique. Mais le but c’est de trouver l’équilibre entre l’univers de Dimmu Borgir et la vie de famille, alors que ce sont deux éléments qui ne vont pas forcément de pair. On a parfois quelques complications.
Silenoz : Nous y sommes confrontés tous les jours. Mais plus nous devenons vieux, meilleurs nous sommes dans la planification. Nous n’avons aucune routine car nous sommes des artistes, nous prenons les choses comme elles viennent.
Pour moi c’était important de me couper du monde et de m’immerger dans mon « moi »
Avez-vous eu besoin d’une certaine préparation mentale ou était-ce quelque chose de naturel ?
Shagrath : Pour moi c’était important de me couper du monde et de m’immerger dans mon « moi », d’essayer de trouver quelque chose. C’est la même chose pour nous tous. Il faut trouver quelque chose qui vienne du cœur.
Silenoz : Il faut se mettre dans une bulle pour une certaine durée.
Il semblerait que la majorité des titres étaient déjà écrits en 2012. Était-ce difficile de trouver un consensus sur les chansons à faire figurer dans l’album ?
Shagrath : Je vais nuancer un peu ce que tu dis. Tout n’était pas écrit depuis 2012. Les éléments principaux de deux chansons seulement, ‘Interdimensional Summit’ et ‘The Empyrean Phoenix’, ont été écrits en 2012. On les a gardées dans notre tête jusque-là, et on les a retravaillées un petit peu. Donc non, on n’a pas tout écrit en 2012. Nous avons tout écrit au cours des dernières années.
Silenoz : On a travaillé sur de la musique pendant plusieurs années en se montrant discrets volontairement. On a essayé d’instaurer un côté mystique autour du groupe, de créer de l’excitation et de l’attente. Ça faisait partie du plan.
C’est étonnant car aujourd’hui, les groupes font plutôt l’inverse. Plus ils sortent des albums et des EP, plus on parle d’eux.
Silenoz : Nous ne pensons pas comme la plupart des autres groupes.
Mais vous parvenez à donner envie à vos fans et à les rendre fous quand même !
Shagrath : Pour nous, il est important de faire un travail qui satisfera les gens à 100%.
Et vous avez raison ! Mais compte tenu de l’évolution de la musique, n’avez-vous pas peur de fonctionner comme ça ?
Silenoz : Non car si on changeait d’approche, ce serait contre notre nature.
C’est quelque chose dont vous pouvez être fiers !
Silenoz : Oui, tout à fait !
Shagrath : On fait les choses à notre manière, même si ça n’est pas forcément de la bonne façon ! (Rires).
On ne veut pas répéter les erreurs du passé et on essaye d’apprendre
On dirait que vous essayez d’atteindre la perfection, même si c’est impossible de l’atteindre.
Shagrath : La perfection est inatteignable. C’est un oxymore, tu ne peux pas atteindre la perfection. Au cours de toutes ces années, nous sommes devenus de plus en plus conscients de ce que nous voulions. On ne veut pas répéter les erreurs du passé et on essaye d’apprendre. Ça fonctionne pour tout dans la vie d’une manière générale.
Est-il toujours possible de se transcender pour un groupe comme vous avec autant d’expérience, alors que vous avez déjà tant donné pour la musique ?
Shagrath : Avec le nouvel album, on a en quelque sorte redémarré à zéro. On a essayé de donner une nouvelle part de nous à l’auditeur.
Silenoz : On a confiance en ce que l’on fait. Et… je ne sais plus ce que je voulais dire ! (Rires).
A l’écoute de ce nouvel album, « Eonian », nous avons été impressionnés par son côté grandiose et hors du commun. Il est très cinématographique et théâtral et est mis en lumière par un gros travail aux claviers et au niveau de l’orchestration. Quel est votre but en proposant un album plus grandiose que ceux que vous avez faits jusqu’à présent ?
Shagrath : Je pense que c’est venu naturellement, c’est la manière dont on évolue. Ce qui est intéressant pour nous est qu’on a essayé de mélanger de nombreuses atmosphères musicales, comme nous sommes plutôt ouverts d’esprit. Inconsciemment, on a été inspirés par d’autres styles de musique : des musiques de films, du rock, du metal, de nombreux genres. C’est comme si on faisait un ragoût où on mélangerait de l’eau et de l’huile. Ça ne va pas de pair mais on fait en sorte que ça fonctionne.
Silenoz : C’est un défi pour nous, par exemple, de jouer un riff de thrash metal qui enchaîne un piano qui n’a rien à voir. C’est un challenge ! Si on garde la même ambiance tout au long de la chanson, c’est plus simple, mais on veut que l’auditeur soit surpris, et c’est ce que j’aime. Quand j’achète un album que j’ai hâte d’écouter, je m’assieds, je l’écoute, et j’aime quand je me dis : « Waw ! Qu’est-ce qui vient de se passer ? ». On essaye de faire ça dans nos chansons aussi, on essaye de mettre l’auditeur sur le qui-vive.
Cela me fait penser au groupe Therion (groupe de metal symphonique suédois, ndr). Il y a quelques mois, ils ont sorti un triple album d’opéra metal (‘Beloved Antichrist’, ndr). Votre album nous semble correspondre au côté sombre du leur.
Shagrath : Je ne suis pas le plus grand fan de Therion mais je salue leur prise de risque. Ils prennent des risques en réaliser un album qui va durer 3 heures ou je ne sais combien de temps. Mais je ne les ai pas écoutés depuis plus de dix ans, donc je ne peux pas vraiment comparer.
Je fais cette comparaison par rapport à l’aspect symphonique de votre album. Ce côté symphonique était-il le point de départ de votre album ?
Shagrath : Pas vraiment. Je pense que le thème orchestral est venu par hasard. Certains sons que tu entends peuvent déclencher des idées. Tu peux être inspiré par un film épique qui a une super bande originale, et puis te rendre au studio pour jouer ce que tu as en tête. C’est en général comme ça que l’on crée.
Silenoz : Il n’y a pas de formule précise. Si tu as une idée en tête, on essaye de la mettre en musique.
Une idée simple peut avoir un effet plus important qu’une centaine d’idées qui seraient plus compliquées

Concernant l’aspect cinématographique et théâtral, Shagrath, tu joues le rôle du maître de cérémonie, tu es en quelque sorte le narrateur. Qu’en penses-tu ?
Shagrath : Il y a moins de chant crié sur cet album. La raison est que je voulais donner de la place au son épique de l’album. Je ne voulais pas répéter les choses que l’on faisait sur les albums précédents, comme quand on commençait chaque chanson avec des cris. C’est plus important de donner de la place à la musique, et parfois je préfère la simplicité aux éléments sophistiqués. Je pense que cela peut avoir un plus grand impact sur les gens. Une idée simple peut avoir un effet plus important qu’une centaine d’idées qui seraient plus compliquées. C’est pour cela qu’il y a moins de chant sur cet album.
Votre album rappelle les sonorités d’une bande originale d’un film de Tim Burton qui aurait pris une tournure sombre et violente. Êtes-vous d’accord avec ça ?
Shagrath : C’est un compliment, je dirais ! Les autres groupes symphoniques n’ont pas forcément l’aspect sombre que nous avons, en tout cas c’est ce que je crois. Bien sûr, nous avons le côté grandiose mais aussi le côté sombre.
Silenoz : C’est un mélange de beauté, de laideur, de plusieurs choses. Personnellement, j’aime beaucoup jouer des riffs émouvants qui peuvent toucher les gens à l’intérieur et leur faire ressentir quelque chose. Pour moi, c’est une plus grande réussite que de jouer des chansons agressives. Des centaines de groupes le font déjà mieux que nous, ou jouent avec une meilleure technique que nous. Je me concentre plus sur cette approche.

La question évidente qui me vient…
Shagrath : Pourquoi ça vous a pris autant de temps ? (Rires)
Cet album est une porte vers l’évasion
... non mais on a l’impression d’assister à une pièce de théâtre avec des actes. Est-ce le cas ?
Shagrath : Tu peux dire que chaque chanson est un acte d’une certaine manière, mais ce n’est pas un album concept. Chaque chanson sur l’album peut être représentative d’un moment précis, et peut aussi vous rappeler certaines anciennes chansons qui auraient pu faire partie de cet album. C’est un bon mélange de ce que nous sommes.
Silenoz : La musique permet de s’évader de la réalité, comme quand on regarde un film. On peut disparaître de la vie normale et se couper du monde normal. Cet album est une porte vers l’évasion.
Il est impossible de mentionner une chanson en particulier plutôt qu’une autre sur cet album. ‘Interdimensional Summit’ est votre premier single. C’est certainement le titre le plus accessible et la meilleure introduction vers cet album. C’est pour ça que vous l’avez choisi ?
Shagrath : Quand on a parlé du choix du premier single, c’était une décision difficile à prendre car nous n’étions pas tous d’accord. C’est un titre puissant, rentre-dedans, dans la veine de ce que l’on a fait jusqu’à présent et très accrocheur. C’est pour ça qu’on l’a choisi.
Silenoz : C’est une bonne chanson pour nous découvrir, surtout que cela faisait 8 ans que l’on n’avait pas sorti d’album.
C’était aussi un moyen de rassurer votre public que vous êtes de retour ?
Silenoz : Oui, bien sûr ! On aurait aussi pu prendre n’importe quelle autre chanson de l’album, mais celle-là convenait mieux.
Dans cette chanson, il y a effectivement l’esprit de Dimmu Borgir. Mais il y a aussi beaucoup de surprises avec des titres comme ‘Council Of Wolves And Snakes’ qui représente l’aspect spirituel de cet album. C’était ce que vous vouliez exprimer dans cette chanson ?
Shagrath : Cela montre la diversité qu’il y a dans notre manière d’écrire des chansons. On voulait montrer un visage un peu différent et inattendu.
Cette chanson est la meilleure représentation de cet album dans la mesure où c’est un mélange de plusieurs influences et où elle rend hommage aux forces de la nature. Elle fait le lien avec vos influences de black metal. Es-tu d’accord ?
Shagrath : Oui, c’est plutôt bien dit ! Une part de l’inspiration vient du black metal du début des années 90 dans la section du milieu de cette chanson. On peut faire le lien avec le black metal de cette époque, sans pour autant être une copie, mais c’est une inspiration.
Sur les chansons ‘The Empyrean Phoenix’ et ‘I Am Sovereign’, on retrouve une approche épique et symphonique. Mais il y a aussi un aspect ésotérique où vous semblez revenir à la source du black metal sous un aspect introspectif. C’était l’objectif ?
Shagrath : Nous n’avons pas de formule quand on écrit une chanson. Quand on a une idée, on l’étudie. Il y a effectivement une inspiration black metal très forte avec la présence d’un orchestre au milieu du titre.
Cette approche rappelle un peu le post-black metal et le funeral doom. Est-ce que vous avez suivi les évolutions artistiques de ce genre au cours des années ?
Shagrath : Quel genre ?
Le post-black metal.
Shagrath : Je n’ai jamais entendu ce terme jusqu’à présent ! (Rires).
Silenoz : Tu sais, on devient vieux ! Mais le funeral doom je connais. Quand on écoute du black metal, on écoute plutôt les groupes old school du début des années 90. On ne fait pas vraiment attention aux nouveaux groupes. S’il y a un nouveau très bon groupe de black metal, normalement, on en entend parler, mais on n’en recherche pas vraiment de nouveaux.
Shagrath : C’est difficile car il y a tellement de groupes ! J’essaye de rester à jour sur ce qui se passe, de découvrir de nouveaux groupes en ligne ou d'acheter des albums, mais c’est compliqué car il y a tant de groupes !
Silenoz : Et tant de bons groupes !

Les gens qui attendent votre album retrouveront le côté black metal qui a fait votre renommée avec des chansons comme ‘Lightbringer’ et ‘Archaic Correspondence’. C’était votre but de proposer des chansons plus directes et percutantes pour marquer l’auditeur ?
Shagrath : Tu sais, quand on se réunit pour écrire les chansons tous ensemble, on ne se dit pas : « okay, maintenant, faisons une chanson comme ça ! ». L’expression dans l’art en général est naturelle, on n’analyse pas ce que l’on joue. Tu es journaliste et tu dois poser des questions, je comprends ça, mais c’est difficile de s’exprimer à ce sujet quand les chansons viennent naturellement de l’intérieur.
Silenoz : C’est difficile d’en parler, c’est pour ça qu’on fait des chansons et des albums.
Shagrath : Notre moyen d’expression est la musique.
Nous avons accompli quelque chose avec cet album
Et qu’attendez-vous de cet album ?
Shagrath : Tous les deux, nous sommes très contents de l’album. Qu’il se vende beaucoup ou qu’il se vende peu, ce sera un véritable accomplissement. Nous avons accompli quelque chose avec cet album. Les gens n’ont aucune idée de la masse de travail qui se cache derrière, et ils seraient très surpris de l’apprendre.
Concernant la tournée, j’imagine que vous avez prévu quelque chose ?
Shagrath : On va être un peu plus sélectifs car nous ne sommes pas un groupe typique comme les autres qui enregistrent un album, partent en tournée, enregistrent un album, partent en tournée… On n’aime pas ça. Donc on va être plus sélectifs et plus exclusifs.
Nous avons commencé cette interview en vous demandant quelle était la question que l’on vous avait posée trop souvent. Au contraire, quelle serait celle que vous aimeriez que je vous pose ou celle à laquelle vous auriez aimé répondre ?
Shagrath : « Pourquoi vous avez attendu aussi longtemps pour sortir cet album ? » (Rires). En vrai, je ne sais pas.
Réfléchissez-y, et dans 7 ans, quand vous sortirez le prochain album de Dimmu Borgir, je vous reposerai cette question !
Shagrath : J’espère que ce sera dans moins de 7 ans !
Cela me rappelle une interview que l’on avait faite avec Robb Flynn de Machine Head. Il ne voulait plus faire de festival, il voulait juste faire des concerts de Machine Head sans première partie. Il en avait marre des festivals avec…
Shagrath : Une pluie torrentielle, le froid, etc…
Vous êtes dans le même état d’esprit ?
Shagrath : Je pense que les festivals sont un excellent moyen de diffuser sa musique auprès des gens qui n’ont jamais entendu parler de toi. C’est très positif de faire des festivals, mais en même temps…
Silenoz : Tout n’est pas parfait non plus.
Peu importe ce que l’on fait. On ne doit rien aux autres. On fait les choses parce qu'on le veut et parce qu’on a quelque chose à dire
Dans son cas, il considère qu’ils ont atteint un niveau de popularité suffisant. Les festivals permettent avant tout d’aller à la conquête de nouveaux auditeurs. Dans votre cas, vous cherchez toujours à attirer de nouveaux auditeurs ?
Silenoz : Automatiquement, en sortant cet album, c’est ce qu’on recherche aussi.
Shagrath : Mais en même temps, on ne doit rien à personne. On fait ça car on est passionnés par ce que l’on fait. C’est quelque chose qu’il faut garder à l’esprit et c’est pourquoi on veut faire les choses de manière plus exclusive. Peu importe ce que l’on veut faire. On ne doit rien aux autres. On fait les choses parce qu’on le veut et parce qu’on a quelque chose à dire.
Silenoz : Si on sort un nouvel album dans deux ans, on le fait quand on le veut et à notre façon.
Et vous le faites très bien. Merci beaucoup !
Shagrath et Silenoz : Merci !
Merci à Noise pour sa contribution...