C'est un Jon Schaffer en pleine forme que nous avons rencontré pour une échange "cash" pendant lequel il sera question de l'actualité du groupe mais également la relation du groupe avec ses fans et l'industrie du disque...
Bonjour Jon, notre dernière rencontre remonte à 2011. Entre temps, tu as subi une opération en 2014 donc avant de commencer, comment vas-tu ? Il semblerait qu'avec le retour d'Iced Earth en tournée, et la sortie de cet album, les mauvais temps sont bien derrière toi ?
Jon Schaffer : Oui, tout à fait. L'intervention chirurgicale était indispensable car plus ça allait, moins je contrôlais ma main pour les pickings. Pas cool pour un guitariste, hein. Car ça a commencé par le cou, par une discopathie C5-C6 et ton système nerveux passe par là pour contrôler les membres inférieurs, ça peut être assez grave.
Et c'est complètement guéri ?
Disons que ça va nettement mieux. La première intervention date de 2000 car je m'étais fait mal en 96 à Berlin en thrashant comme un dingue. Je savais qu'il y allait avoir au moins une deuxième opération, restait qu'à la planifier. Parce que le problème avec ça c'est qu'en l'absence de disques, les os se soudent et provoquent d'autres dommages sur les vertèbres autour, donc c'est à surveiller...
Tom Araya de
Slayer a eu exactement la même chose,
Jason Newsted aussi,
Dave Mustaine... C'est un problème de head-banger... Mais il n'y a plus de risque avec le système nerveux au moins, de ce côté, c'est cool.
Malgré tous ces désagréments qui sont venus entraver ma route ces 32
dernières années, je n'abandonne pas
Ton actu est la sortie du 12e album d'Iced Earth "Incorruptible". Est-ce, selon toi, le meilleur qualificatif définissant Iced Earth : un groupe comme Iron Maiden, fidèle à lui-même, qui ne dévie ni s'adapte pour coller à la mode ?
Absolument. C'est le meilleur qualificatif de vision que j'ai toujours voulu donner et conserver depuis les débuts du groupe. Cette vision est inébranlable et on s'efforce de la respecter malgré la brutalité des défis qu'on doit relever et dont les gens n'ont aucune idée, entre les contrats, les obligations du groupe, les difficultés rencontrées dans le management du groupe, les changements de
line-up, problèmes de santé qu'on évoquait... malgré tous ces désagréments qui sont venus entraver ma route ces 32 dernières années, je n'abandonne pas, tu vois. Je suis toujours aussi dévoué à cette cause.
Il y a de quoi être fier d'une telle dévotion... car on voit beaucoup de groupes qui cherchent à s'adapter à des gouts passagers...
C'est clair. Je suis fier de rester droit dans mes bottes, mais c'est comme ça que je suis, je ne sais pas être différent donc je fais avec en ne m'abandonnant jamais, ni mes fans. Je dois être satisfait de ce que je fais de ma vie.
Stu est arrivé dans le groupe depuis notre dernière rencontre pour la sortie de "Dystopia". On se doute de la pression qu'il a dû subir pour remplacer Matt Barlow, particulièrement lorsqu'on le qualifie de clone... Comment a-t-il fait face à cela ?
Il faudrait lui demander, mais je n'ai pas constaté de stress ni de pression particulière de son côté. Ceux qui le qualifient de clone sont ignorants, c'est absolument faux. Ils sont certainement restés figés dans le passé, et ne comprennent pas les processus de création d'une chanson, de production artistique d'un album, et je me tape de ce qu'ils peuvent dire.
Je trouve ridicule qu'on puisse penser que je ne le laisse pas être lui-même ou que je lui demande d'être le clone de
Matt ou
Tim, je n'ai jamais pu laisser penser quelque chose de tel dans l'écriture ou la production. Ce sont les chansons qui dictent l'émotion du chant, c'est comme ça que cela fonctionne ! Seul quelqu'un de complètement ignorant de l'écriture ou de la prod peut dire quelque chose à l'encontre de cela.
Après, c'est humain, des gens qui ne connaissent que 2% de l'histoire vont fonder toutes leurs certitudes, mais je ne m'y intéresse pas, et je pense que
Stu non plus, il a fait un boulot fantastique depuis le début. Il serait le premier à te dire que sa principale influence vient de
Rob Halford, de
Matt et d'autres car il a 10 ans de moins que nous, il a grandi en écoutant
Iced Earth !
Après, être influencé et copier sont très différents. Tu vois, le fait que j'ai produit l'ensemble des albums, avec tous ces chanteurs fait qu'il y a une cohérence dans le son parce que c'est ma façon de faire ! Il n'ont pas la profondeur d'écoute que j'ai eu en les produisant. S'ils veulent rester à écouter l'ancien
Iced Earth qu'ils y restent, je m'en tape, nous on avance !
Je ne peux pas te faire revivre ton enfance. C'est le problème avec les gens qui te disent de ressortir un album comme "Horror Show" (sorti en 2001, NDLR), "Night of the Stormrider" (1991, NDLR) ou "Burnt Offerings" (1995, NDLR). Non, on l'a déjà fait ! Tu veux que je te procure à nouveau cette sensation que tu as ressentie quand tu as découvert le groupe, ça me fait très plaisir d'avoir eu cet impact sur toi, mais je ne peux pas le faire à nouveau ! "Number Of The Beast" est mon album préféré de Maiden, mais jamais je ne leur demanderai de faire le même aujourd'hui ! Il me suffit de le ressortir et de l'écouter ! J'adore le reste de leur discographie, mais je ne m'attends pas à ce qu'ils me procurent les mêmes sensations que quand j'avais 13 ans !
"Number Of The Beast" est mon album préféré de Maiden, mais jamais je ne leur demanderai de faire le même aujourd'hui !
C'est pourtant le genre de demandes qu'un groupe comme le tien doit avoir à chaque concert quand vous rencontrez les fans, non ?
Ça arrive, oui, moins que tu le dis, et malgré le compliment que ça représente, t'imagines, c'est énorme d'apprendre l'impact que ta musique a eu dans la vie des gens, et je comprends ce sentiment parce que je l'ai vécu tellement de fois moi-même avec les premiers albums de groupes que je découvrais qui avaient le plus gros impact émotionnel sur moi... "Ride The Lightning", Alice Cooper, Black Sabbath. Tout ce que je peux faire, c'est être honnête et canaliser ma musique dans la direction que je pense la plus vraie possible, et ça continuera d'avoir un impact sur ceux qui découvrent le groupe, et ceux qui sont assez ouverts pour comprendre qu'un groupe grandit aussi. Notre fan base est l'une des plus loyales qu'on puisse avoir, et pour ceux qui n'arrivent pas à avancer, je ne peux pas les aider, malheureusement, je suis désolé, j'avance !
Notre fan base est l'une des plus loyales qu'on puisse avoir, et pour
ceux qui n'arrivent pas à avancer, je ne peux pas les aider,
malheureusement, je suis désolé, j'avance !
Avec cet album, Stu qui confirme sa présence, il semblerait qu'un nouveau chapitre s'ouvre dans la carrière d'Iced Earth. Non pas que les deux précédents n'étaient pas bons, mais il semblerait que "Incorruptible" soit l'aboutissement des deux derniers.
Ça, je ne sais pas... Que cet album se démarque, oui, il arrive un peu tardivement, après de nombreuses difficultés. Ça a pris du temps de construire le nouveau QG, le studio d'enregistrement... Tout ça a mené à "Incorruptible", mais il nous fallait du repos, se ressourcer pour pouvoir faire correctement notre boulot. Ça a aidé d'avoir à nouveau mon studio, mon matériel et tout l'environnement. Chacun de nos albums a sa propre histoire, son contexte de circonstances, etc. Il y avait bien une chose certaine sur cet album, c'est que ça n'allait pas être un album concept, ni basé sur un thème, juste une collection de chansons. Je crois qu'on ne l'avait pas fait depuis le premier. Et ce que j'adore avec cet album, qui n'était pas intentionnel, c'est que ces chansons flottent et regroupent d'une façon ou d'une autre l'ensemble de la discographie d'
Iced Earth, toutes les influences qui ont été les nôtres sur nos précédents albums, c'est génial !
L'arrivée de
Stu s'est faite juste après avoir refait le management du groupe et à ce moment-là, tout était planifié sur un calendrier. On ne peut pas vraiment commander de l'art avec un planning. On ne peut pas dire : "Allez, on va se faire une tournée mondiale de 160 jours, suivie de 2 semaines de vacances, puis en trois mois, on va composer l'écriture et la production d'un album, tout en étant disponibles les week-ends pour enchainer les festivals, et on repart en tournée ensuite." C'était la situation dans laquelle on était mis. En trois ans depuis l'arrivée de
Stu, on a fait 350 concerts avec lui, 2 CD et un DVD. On a dû écrire comme pas possible, je ne connais pas de groupe qui se soit imposé un rythme aussi effréné. On n'arrêtait pas de voyager et on a appris de cette période, qui nous a cramés. On s'est ravisé à privilégier la qualité plutôt que la quantité, prendre du temps, ne pas faire tout ce qu'on peut, mais faire ce qu'on veut.
Tu disais que cet album rassemblait les influences de votre discographie, et c'est juste. Nous avons ressenti un retour aux années 90 du temps de "Something Wicked" "Dark Saga" particulièrement avec le heavy 'Great Heathen Army', et les épiques 'Black Flag' et 'Raven Wing'. Ils rappellent d'ailleurs l'aspect heavy très puissant de l'intro de "Something Wicked" : était-ce un but de frapper fort l'auditeur dès le début de son écoute ?
Aahh, je crois qu'on essaye de toujours faire cela. Sur un album concept, on doit coller à une histoire et t'amener à un but. Avec un album comme celui-ci, j'ai joué sur la dynamique de l'écoute avec les rapides, mid-tempo, les ballades, de sorte que l'auditeur fasse un tour de montagnes russes. A l'écriture de 'Great Heathen Army', je savais que ça allait être l'intro. Ensuite je l'ai fait au feeling, je suis
old school dans le sens où j'écoute quand même tout un album. Je ne fais pas de
playlist pour moi, j'ai grandi en écoutant une face, je tournais le disque et j'écoutais l'autre face.
Justement, parlons de ça parce que c'est l'effet que nous avons eu avec "Incorruptible". Après 'Seven', on a l'impression d'arriver à la fin d'une potentielle A-Side, et d'avoir à tourner le disque pour continuer l'écoute avec 'Relic'. As-tu marqué une rupture à ce moment-là de l'album ?
Pas particulièrement là, mais je réfléchis toujours à avoir une cohésion dans l'écoute complète d'un album, je le fais systématiquement. Mais les vinyles semblent revenir à la mode, donc c'est cool ! Pour preuve, ma fille de 12 ans m'a demandé une platine pour son anniversaire il y a quelques semaines. J'étais là : "Putain c'est cool !" (Rires)
Alors, qu'écoute miss Schaffer ?
Elle écoute
Twenty One Pilots, mais elle a 12 ans donc elle est exposée à ce genre de musique. Elle écoute aussi
Sabaton, qu'elle avait pu voir de près quand elle nous a accompagnés une semaine lors d'une tournée en 2014 où
Sabaton assurait la première partie, ils ont été géniaux avec elle. Elle aime ensuite
Corvus Corax, et sa préférée de son père est 'Red Baron/Blue Max' de l'album "The Glorious Burden". C'est marrant parce qu'elle n'est pas très metal, mais elle aime ce qui est rapide. On est allé ensemble à un salon du vinyle, et elle a acheté du
Police et
Peter Gabriel, j'étais super fier. Autre chose qui me fait terriblement plaisir, c'est qu'elle découvre avec ses amis à quel point c'est cool de se poser et d'écouter de la musique ensemble, au lieu de le faire seul, avec des écouteurs depuis son téléphone, et de partager cette écoute, regarder l'
artwork, discuter des chansons et d'en faire un lien social plutôt que personnel. Je ne sais pas combien de temps durera ce retour au vinyle, ni si ça sauvera l'industrie de la musique, mais c'est déjà super que ça revienne. Même si c'est juste une mode, c'est le genre de modes que j'accueille volontiers.
L'artwork de ce nouvel album montre le sourire de Set Abominae alors qu'il est crucifié sur un pentacle. Ce sourire apparait comme une provocation envers ses tortionnaires Quelle est la signification de cette œuvre ? Y'a-t-il un parallèle avec le groupe qui a souvent été critiqué pour ne jamais avoir changé de style ?
(Sourire) Je pense en effet qu'il y a ce parallèle, oui. Et bien qu'il apparaisse partout dans le livret, derrière et en page centrale, il est très possible que ce soit le dernier album avec Set Abominae... Et pourtant, chacune de ces illustrations pourraient faire des jaquettes d'album... Parce que j'aime bien cette idée de crucifixion, et lui qui lance quand même un "Fuck You !"
Est-ce un "Fuck You" envers cette critique en particulier ?
Non, ça ne peut pas parce que on l'a depuis nos tout débuts. Ce "Fuck You !" est destiné à toutes les puissances de l'industrie de la musique. Surtout pas aux fans, comme je te disais, chacun a son opinion et je ne peux pas lutter contre ça, tout le monde est libre. Tout ce
business model est en train de mourir et d'une certaine façon, je suis très heureux de le voir. Parce qu'on a été violenté par nos contrats, quand tu vois que des mecs qui n'ont absolument rien à voir avec quoi que ce soit de créatif se gave sur nous... C'est notre dernier album sous contrat donc on est libres maintenant. Tout est lié. Cette attitude de "Fuck You !" est pour ceux qui nous ont, ou veulent nous baiser, mais qui ne nous ont plus sous leur botte.
Ce "Fuck You !" est destiné à toutes les puissances de l'industrie de la musique.
La musique nous a également beaucoup rappelé "Something Wicked" notamment avec l'instrumentale 'Ghost Dance' qui renforce le parallèle avec '1776'. Est-ce que tu le constate aussi avec le recul ?
Je peux le comprendre oui, mais c'est un vrai album de
Iced Earth, sans remplissage, avec des chansons puissantes qui ont toutes un message fort. Avec le recul, je suis très fier de nos différentes périodes. Celles que tu cites était top, c'est un vrai
highlight dans notre catalogue. Mais je pense aussi à "The Dark Saga", "Dystopia", "Glorious Burden" qui est de loin notre plus accessible...
Lequel serait celui qui tu écoutes le moins ?
Je dirais que je n'écoute plus "Burnt Offerings", et "The Crucible Of Man" n'est pas dans mes favoris non plus. Il faisait suite à 3 décès dans ma famille, je traversais une période extrêmement difficile. Je n'aurais jamais fait de tels arrangements en d'autres circonstances. Faut pas oublier qu'on est des êtres humains qui traversons aussi des coups durs, et l'art est probablement le domaine où les émotions sont le plus à vif alors qu'on attend pourtant de nous qu'on donne toujours le meilleur de nous, mais les fans n'ont pas d'idée de ce qu'il se passe chez nous. C'est comme ça, je n'attends pas de compassion, parce que ces jugements ne m'atteignent pas.
Je ne ressens pas le besoin de me justifier ou de trouver des excuses quand je sors un album
Pourquoi ne pas présenter les circonstances de sortie d'un album qui a été particulièrement dur à accoucher, à vos fans, qui sont les plus à même de vous comprendre ?
Parce que ça finit toujours par se savoir, tôt ou tard. Je ne ressens pas le besoin de me justifier ou de trouver des excuses quand je sors un album. Quant au contexte, si on me pose la question, j'y répondrai, mais je ne vais pas chanter partout de moi-même que j'ai traversé un océan de merde.
On sait que ce n'est pas un album concept, mais Iced Earth ne serait pas Iced Earth s'il n'y avait pas un petit bout d'histoire américaine abordé dans les textes. 'Clear the Way' par exemple traite de la bataille de Fredericksburg, au 13 décembre 1862, alors que le General Lee remportait le combat contre les forces de l'Union alors qu'ils étaient plus nombreux. Est-ce un but pour vous de nous faire vivre ces moments qui ont marqué l'histoire américaine ?
Je ne serai pas si affirmatif car beaucoup de nos albums n'abordent pas ces thèmes. Cette chanson met à l'honneur la brigade irlandaise (lors du dernier assaut, elle fut massacrée et 250 personnes furent tuées en seulement 10 minutes, NDLR), et non la bataille de Fredericksburg en elle-même. Tu vois, ils étaient déjà persécutés en Grande Bretagne par les Anglais qui les avaient expropriés et affamés, donc ils ont dû migrer aux Etats-Unis pour fuir cette situation et y trouver la prospérité et sont tombés au milieu d'une guerre, enrôlés de force pour défendre des causes qui n'étaient pas les leurs. Le racisme était tel qu'on leur donnait les pires positions dans les affrontements. En l'occurrence, ils étaient en plein milieu d'un champ de bataille qui était totalement dégagé et ont été littéralement massacrés. Alors que de l'autre côté du mur, c'était d'autres Irlandais, mais confédérés, eux. Ils n'ont pas compris pourquoi ils s'affrontaient alors qu'ils cherchaient là la même chose. Cette histoire est terriblement tragique et m'a marqué, ça fait 15 ans que je voulais sortir une telle chanson, comme un jour je traiterai de celle d'Austerlitz, mais j'ai besoin que ça mûrisse avant que ça sorte.
On retrouve ces thèmes historiques aussi chez Sabaton avec qui vous avez tourné. Vous cherchez à ré-éduquer vos auditeurs en histoire ?
Certains oui ! (rires) Sérieusement, on est passionnés par l'histoire, oui, et c'est un honneur de savoir qu'ils ont été inspirés par "The Glorious Burden". Très récemment, j'étais justement allé les voir jouer à Louisville, Kentucky, ils sont très bons.
Merci Jon !
Merci à vous !